Delicious | ft. Kayn

Les quelques rares journées pluvieuses donnent à Zaun des airs de fin du monde. Comme un après déluge chimique voué à noyer les quelques déterminés encore capable de maintenir la tête hors des égouts.
Le concept de fin des temps est encore flou aux yeux d'Iris qui voit dans cet endroit un terrain de jeu privilégié, une corbeille de fruits débordante. Une corne d'abondance aux mille saveurs. Une haine juteuse à gauche, un orgueil délicieux à droite, de quoi se noyer dans les vices de ceux qui ont abandonné la lutte contre leurs travers.C'est à se demander pourquoi on n'y croise pas plus de démons. Mais Iris est bien heureuse d'en avoir fait son terrain de chasse exclusif.

L'humidité rafraîchit les ruelles qui sillonnent l'Entresol, et éveille la mauvaise humeur des Zaunites agacés par les imprévus. Amusée, Iris se faufile, garde l'œil ouvert, alors qu'elle se mue en une petite blonde aux yeux verts, cheveux et vêtements bien trop propres pour le coin. De quoi attirer l'attention des bonnes personnes tout en s'enfonçant peu à peu dans les profondeurs.

Si elle cherche à s'amuser dans ses pérégrinations au milieu de la fange Zaunite où elle a élu domicile, Iris est aussi forcée d'admettre qu'elle subit la population autant que celle-ci subit sa condition. Les émotions s'entremêlent. Les bonnes viennent pervertir les mauvaises et perturber l'esprit de plus en plus frustré de l'altérée qui, parfois, aimerait bien venir à bout de cette cacophonie ambiante. Dans l'âme des autres, comme dans la sienne. Sa demi-âme, morceau infâme d'humanité imposé à son éternelle existence auparavant si réjouissante. Bon sang, qu'il est insupportable d'éprouver la joie de cette gamine qui ramasse un vieux boulon dans un coin de ruelle.

"C'est qu'un bout de ferraille, bordel." Grommelle Iris en s'éloignant. Elle se sait déjà suivie, et ça suffit à l'apaiser. Ceux qui traînent dans son sillage sont viciés bien comme il faut. Comme elle les aime. Pas courageux pour un sou. Prêts à tout tant qu'ils sont en surnombre. D'abord bouffis d'orgueil, et bientôt morts de peur.

Tourner à droite, puis à gauche. S'ils étaient un peu moins idiots et drogués, ils se seraient probablement questionnés sur le sens de l'orientation de la prétendue étrangère. Depuis quand les petites bourgeoises ont-elles le pas si assuré dans la périphérie des grandes allées commerçantes ? Constater l'ignorance de la brochette de trois imbéciles la suivant dessine un sourire carnassier sur le visage de l'Altérée. La pêche est excellente.

Ils finissent par l'apostropher, semblant la prendre par surprise, bloquant les trois issues de l'espèce d'impasse dans laquelle elle les a elle-même emmenés. "Oh !" S'exclame-t-elle en jouant des aigus d'une voix qui lui est bien peu naturelle. "Excusez-moi, je crois que je me suis égarée. Auriez vous la gentillesse de m'aider à retrouver mon chemin ? J'ai des choses à acheter …" Niaiserie confondante. Elle pioche dans sa sacoche ce qui ressemble à des pierres précieuses, pas très affinées mais assez scintillantes pour attirer le regard affamé des trois perdus armés de vieux tuyaux rouillés. Deux d'entre eux s'approchent d'elle, la bloquent contre un mur, alors que le troisième se met à tapoter son arme dans la paume de sa main, tel une caricature de petite frappe ridicule. Ce qu'ils disent importent peu, Iris ne les écoute pas vraiment, mais ils parlent beaucoup entre leurs chicots mal entretenus. Si jeunes et déjà si laids.

Iris baisse les yeux, silencieuse. Elle ne prête attention à rien, si ce n'est la symphonie viciée qui chante à son oreille le menu du soir. Peut-être les laissera-t-elle en vie, comme elle se force à le faire à présent. Mais le repas s'annonce si délicieux qu'il ne faudrait pas lui en vouloir de perdre le peu de sang-froid qui lui reste. Un rire profond, rauque, commence à monter. Ses mains prennent une couleur sombre. Les trois idiots ralentissent, et sont comme transfigurés par un mélange de haine et de peur trop intense pour leur esprit. Iris pourrait les plonger dans les profondeurs et leur bondir dessus. Mais quelque chose l'agace. Elle ne saurait dire quoi. C'est comme un bruit agaçant tapotant à la fenêtre de son esprit pour s'y inviter de force.

Toutes griffes dehors, elle attrape le premier malheureux pour gronder à son oreille. "T'es qui, t'es où ?! Montre-toi où je te bouffe !"

L'interruption est brutale. Sèche. D'une violence impossible à soupçonner, parce que la faim déchire les entrailles et l'esprit d'Iris comme pour la narguer, mais rien ne le trahit. Le lien délicieux entretenu avec chaque victime est si fragile. Il peut se briser d'un rien, et la présence d'un intrus suffit à éveiller les pires frustrations de celle qui semble pourtant plongée dans ce sentiment sans pouvoir en échapper.

Son regard ne lâche pas celui qu'elle tient entre ses griffes. Il semble déjà à moitié mort, la peur l'a quitté pour courir dans le semblant de veines qui parcourt les membres assombris d'Iris. Pourtant, la satisfaction n'est pas vraiment là. Pétrifiés, accroupis sur le sol, le plat et le dessert attendent leur tour qui ne vient toujours pas. "Je prépare un potager, manifestement. Il paraît que le sol est fertile, dans le coin." Ironise Iris d'une voix profonde, modulée de plusieurs tons simultanés semblables à des échos de différents octaves rebondissant sur les murs de l'impasse.

Enfin, le démon lève vers l'intrus ses yeux dont les couleurs les plus claires ont viré au noir, éveillant l'écarlate des iris qui pulse à chacune de ses expirations. Elle passe de l'homme à la faux, de la faux à l'homme, de l'œil rouge à celui de l'arme, de l'humain à la corruption.

"Qu'est-ce que c'est que cette nouveauté ?"

La curiosité se mêle à l'orgueil. Elle ne sait pas si elle a envie de le tuer, de l'absorber, ou d'en savoir plus sur sa nature qui semble différente de celle de tous les ratés à moitié fonctionnels des profondeurs de Zaun. Son regard continue de rebondir d'un détail à l'autre formant cet individu singulier. Il y a quelque chose d'inhabituel. De dissonant. Les créatures qu'elle a coutume de croiser sont parfois contradictoires, mais toujours uniformes. Leurs émotions sont souvent perturbantes, agaçantes, mais elles ne cernent qu'un esprit. Celui-ci est multiple. Iris peut déjà en sentir la différence de goût.

Mais il y a une puissance, qui tend chacun de ses muscles et la séduisent, comme un parfum enivrant. "Ce que je fabrique ne regarde que moi, mais je suis sûre que tu t'en fais une bonne idée, maintenant." Un sourire carnassier fend le visage du démon dont la curiosité prend peu à peu le pas sur la faim. Une tendance à la retenue devenue de plus en plus pesante avec les jours et les rencontres.

Puisque les masques tombent, Iris se laisse peu à peu révéler, chacun de ses atours reprenant leur aspect originel. "C'est la curiosité qui vous amène, ton arme qui parle et toi ? Si je peux me permettre, c'est une assez mauvaise idée dans le coin." D'un pas, elle approche de son second casse-croûte pour plonger ses doigts noircis dans sa chevelure humide. "Surtout si tu es un de ces tristes justiciers des bas-fonds." D'un coup sec, elle tire en arrière la tête du pétrifié qui ne laisse échapper qu'un souffle. Son regard vide ne dit rien. Iris non plus. Immobile, elle se contente d'observer l'Homme et l'Arme, comme convaincue qu'à la fois toutes les réponses et aucune d'entre elles en lui conviendraient.

Une voix différente s'élève. C'est l'arme qui parle. Comme apaisée par ce vent de nouveauté, Iris repousse brutalement sa proie qui s'étale de tout son long sur le sol, sans essayer de s'enfuir. Ils semblent comme noyés dans leur terreur et le démon ne s'en soucie plus vraiment. Le sort s'abattra sur leurs âmes un peu plus tard, rien ne presse. Cette impasse est connue pour les disparitions qui s'y produisent, et bien peu s'y aventurent. La faute à qui ?

Iris se frotte les mains, comme pour se débarrasser de quelque souillure invisible, avant d'approcher d'un seul pas, son corps reprenant définitivement son ancien aspect, ne laissant alors plus aucune trace de l'innocente touriste qu'elle incarnait un peu plus tôt. "Si tu en avais croisé, je doute que tu serais en mesure d'en parler. Quelles que soient les étrangetés qui te caractérisent." Son regard caresse l'arme, puis le bras. Il est décidément des curiosités que le monde n'a pas jugé bon de lui montrer jusqu'alors. Il faut dire que ses incursions en territoire mortel n'ont jamais été très longues. Juste assez pour jouer un peu, se nourrir, et repartir dans les tréfonds de son plan.

"Des comme moi, tu n'en croiseras sans doute pas. Mais il y a sans doute quelques uns des … miens, qui parcourent vos terres actuellement. On n'a pas vraiment pour habitude de s'organiser." Peut-être est-ce sa nature, ou parce qu'il a tout l'air d'être un étranger. Ou parce qu'elle a été prise sur le fait. Le démon se sent d'humeur loquace, et ne s'inquiète pas vraiment de révéler sa nature ou, tout du moins, qu'elle n'est pas l'humaine que la plupart des habitants de Zaun voient en elle.

Les bras croisés, elle dégage à ses pieds une ombre qui vient à couvrir le corps des malheureux qui commençaient à s'agiter. Il sont à nouveau pris d'une sorte de tétanie, et Iris se détend à nouveau. "Je ne crois pas en avoir rencontré beaucoup. Ils ont mieux à faire que me suivre, et viennent parfois me consulter. Contrairement à ce que tu dois penser, je suis loin d'être un problème pour cette ville. En tout cas, pas sa première priorité." Son regard vient brièvement désigner ses victimes. "Ceux-là auraient probablement fini entre leurs griffes, ou celles de plus gros poissons. Finalement, je ne fais qu'abréger leurs souffrances, quand on y réfléchit. Si ça peut répondre à ta question. J'accélère simplement le processus."

Un nouveau rire vient occuper l'impasse. Ses sonorités contrastent avec la voix et le ton d'Iris, et semblent presque venir d'ailleurs. "Je ne suis vraiment l'ennemie de personne. Parce que je n'ai rien à revendiquer. Il me semble que les tiens - ou ceux qui s'en rapprochent - ont toujours à coeur de conquérir ou gagner quelque chose. Je n'ai aucun intérêt à vous en empêcher. Je mène mon existence comme je l'entends, et on me fiche la paix. Comme tu le dis, la nuance est possible. A toi de voir ce que tu en conclus."

Son attention vient alors se reporter sur l'arme. "J'imagine que ton copain ne t'attire pas que des faveurs. S'il fait part de sa soif de sang à tout le monde, je peux comprendre pourquoi. Où l'as-tu déniché ? Cette odeur me dit quelque chose."