Araignée du soir, espoir (ft. Astarté)

Il poussa un long soupir avant de se redresser rapidement.

Talon Du Couteau, nu sous les draps soyeux passa sa main sur son visage. Les bouts de ses doigts vinrent appuyer plus ou moins fortement sur ses muscles temporaux aux côtés de son crâne comme pour les aider à se détendre. Il faisait nuit dehors, et il ne saurait dire tout à fait quelle heure il pourrait être. Ça ne l'importait pas encore. L'assassin s'était glissé dans cette maison plus tôt pour venir rejoindre une femme qu'il retrouvait à peu près une ou deux fois par semaine, et pour se soulager de ses tracas qui s'accumulaient beaucoup dernièrement. Entre les rumeurs de saccages de villes qui d'ailleurs se rapprochaient, et la recherche permanente de son père adoptif, il avait l'impression d'avoir la tête pleine de nœud.

Une de ses manières de dénouer ses pensées et de reprendre de l'ordre dans la tornade qui hantait son esprit, c'était de venir voir Astarté.

Il n'allait voir personne d'autre qu'Astarté.

Non pas qu'il l'aimait de réels sentiments amoureux, mais plutôt qu'il trouvait qu'elle était une belle femme digne d'un peu d'attention. Il appréciait bien sa petite taille, son teint hâlé et par dessus tout, ses jolis yeux d'émeraudes dans lesquels il pouvait se perdre une demi-heure. De toute façon, appartenant à la famille Du Couteau, il n'allait quand même pas se rendre dans des bidonvilles pour ce genre d'activité. C'était trop risqué pour un tas de raison, se disait-il, et de plus, beaucoup de noxiennes se ressemblaient selon lui, contrairement à elle. En somme, ce petit bout de femme à ses côtés lui convenait très bien pour ses besoins primaires, mais il n'y était pas attaché. Ce qu'il appréciait c'était ses manières de faire son travail, la manière dont elle s'agrippait à lui, et la vision de sa sueur qui coulait le long de sa colonne vertébrale.

Malgré toutes les fois où il est venu ici pour être à ses côtés, au-dessus ou en dessous d'elle, il n'avait jamais développé une seule seconde l'ombre d'une étincelle. Par ailleurs, il ne l'embrassait jamais sur les lèvres bien qu'ils partagaient leur intimité. On pouvait imaginer qu'il était sans cœur, et on aurait pas tout à fait tort. Tout ce qui l'importait, c'était le Fil, c'était le général, c'était ses missions et le reste n'était que du superflu.

Talon se mit dos à la jeune femme. Assis, il posa ses pieds à même le sol et un frisson léger traversa sa chair, car le sol était froid. Plus froid que le lit. La fenêtre plus loin laissait la lune exprimer toute sa mélancolie, englobant le silence qui s'était alourdi ici après que le parfum d'ébats se soit élevé. Le clair de l'astre rendait un peu plus visible l'assassin. Tirant un peu de la couverture vers le bas de son corps, il ne lui donnait pas une seule parole après l'acte, et ne la regardait plus. Son coude vint se poser sur sa propre cuisse, et sa main épaisse parcouru cette fois-ci sa chevelure brune mi-longue qu'il ébouriffait lui-même pour en chasser la sueur. Il pensa qu'il faudrait qu'il se lave dès qu'il rentre, ne supportant pas longtemps d'être transpirant.

Tout ce que Talon accordait à Astarté au milieu de l'obscurité c'était sa silhouette dorsale qui portait quelques cicatrices comme pour beaucoup de personnes de son rang.

Finalement, au bout de quelques secondes, il tourna son visage au-dessus de son épaule et de ses petits yeux fins, fixa la courtisane sans trop savoir pourquoi. L'assassin détaillait son visage du regard, et ses prunelles vinrent s'arrêter sur son nez qu'il aimait bien. Il avait une symétrie agréable, pensait-il. Son visage tout entier semblait avoir été taillé par un artiste corrompu qui avait cherché à mettre en scène la perfection la plus fourbe et hypnotisante possible, mais lui trouvait le moyen de rester droit dans ses bottes. Comme un funambule, il ne tombait jamais dans le vide d'un amour superficiel et marchait droitement sur le fil de la raison.

Ses lèvres se sont entrouvertes, il a semblé vouloir dire quelque chose, mais bien vite, sa bouche se referma.

Talon se décida à regagner le lit, chose qu'il ne faisait pas toujours. D'habitude, après l'acte, il se levait aussitôt et se rhabillait en silence avant de partir, ne lui disant qu'à demi-mot un petit "au revoir". Ce soir, il se sentait appelé par le coussin moelleux et il avait envie de se reposer rien qu'un petit peu. Un tout petit peu, se promit-il. Ses paupières s'étaient doucement refermées, alors que le Du Couteau était venu se rallonger. Il avait encore le torse à découvert, et ses pieds dépassaient de la couverture. Il les étira d'ailleurs, avant de passer ses bras croisés derrière sa tête.

Il espérait qu'elle ne parle pas beaucoup en retour, parce que ce n'était pas son genre de faire la discussion avec qui que ce soit. Qu'est-ce qu'ils avaient à se dire de toute façon ? Il payait ses services, elle était là pour un temps imparti basé sur combien d'or lui a-t-il donné, et voilà tout. Il ne sous-estimait pas son intelligence, loin de là, même, il la respectait puisqu'il savait bien ô combien il n'était pas simple de se faire une place à Mortorra dans son métier à elle, et qu'elle aurait pu rester coincée toute sa vie dans des souterrains comme il l'avait été. Alors, même si elle ne s'était pas prouvée par une force brute,elle s'est prouvée autrement, et a grimpé l'échelle sociale autrement. Il n'est pas idiot.

Il ne pouvait pas partager un lit avec une faiblarde ou une pleurnicheuse, de toute façon.

Lorsque Talon ressentit un léger courant d'air frais entrer dans la pièce, tous ses muscles vinrent se détendre. L'air avait été trop lourd et chaleureux pendant leur temps imparti. Il était satisfait de ressentir la brise sur sa chair qui venait. Il voulut la remercier, mais il se ravisa. Après tout, elle ne l'avait pas fait pour lui, mais pour elle-même.

Il inspira profondément, gonflant en entier ses poumons d'air. Les yeux clos, il ne regardait pas la courtisane ainsi que sa silhouette ancrée dans tout l'érotisme de sa nudité. En respirant ainsi, l'assassin se recentrait sur le Fil, et pour une bonne semaine probablement, il n'aurait plus besoin d'elle.

C'est ce qu'il pensait, et pourtant, quand elle prononce ses phrases, il connaît une sorte de crispation du ventre. Ses yeux s'entrouvrent et sa tête se tourne sur le coussin pour observer sa chevelure anthracite qu'il affectionnait particulièrement. Au départ, Talon ne dit rien comme à ses habitudes et pourtant, des questions venaient assaillir sa pensée : pourquoi une courtisane aurait besoin de partir ? N'est-elle pas bien, ici ? N'est-ce pas l'apogée de sa carrière ? Est-ce qu'il ne la paye pas assez ? Est-ce une sorte de moyen de pression sur lui pour qu'il lui donne plus d'or ? Peut-être va-t-elle voir de la famille.

- Où ?

Demanda-t-il enfin. Talon pouvait sembler bien agaçant dans sa conversation, car c'était tout comme si il avait pour principe d'ordre d'économiser le maximum de mots possibles. C'était déjà presque miraculeux qu'il s'intéresse à sa destination, lui qui pourtant se répétait qu'il se fichait bien des affaires d'Astarté. Certes. Tant qu'elle restait ici. Après tout, elle était un point important de sa routine. Il n'aimait pas que les choses changent quand ce n'était pas lui-même qui les changeaient. Lui, partait souvent et ne lui disait même pas. De temps en temps, la fille de joie ne revoyait pas l'assassin pendant des mois entiers et il revenait l'air de rien sans explications sur ce qu'il avait pu faire, portant parfois une cicatrice de plus. Il estimait qu'il n'avait rien à lui dire, car il était le client. Deux poids, deux mesures.

Néanmoins, maintenant que c'était à elle de s'absenter, il ne le comprenait pas. Il ne voyait pas pourquoi il serait privé d'elle et de ses services, et déjà, se posait la question de comment il allait faire sans elle. Il ne cherchait nullement à devenir un ascète, mais n'avait aucune idée de vers qui il pourrait se tourner. Il ne prenait pas n'importe qui, n'importe quand !

L'homme de bientôt trente ans se redressa pour s'asseoir, gardant ses prunelles émerillonées sur elle. Maintenant qu'il y pensait, "où" n'était pas important du tout. Freljord ou Shurima, ça revenait au même : elle partait de la capitale, alors, il surenchérit après avoir reniflé rapidement.

- Pourquoi tu irais ailleurs ? Tu n'as nul besoin d'aller où que ce soit.

Entre ses mots, une petite semonce se dissimulait. Talon, assez possessif et avec tout l'égo nécessaire pour dire à quelqu'un ce qu'il avait besoin de faire ou non, se releva lentement, avec la lenteur dont font preuve les prédateurs calmes. Il y a quelque temps, il n'en aurait eu rien à faire de son départ, mais elle avait installé une sorte de rouage dans son esprit psycho-rigide, une habitude. Il n'était pas non plus dépendant, mais il était bien frustré. Il frissonnait à chaque pas, à cause de la fraîcheur qui s'était immiscée dans la chambre et quand il arriva enfin à proximité d'Astarté, il s'arrêta. De sa taille, Talon la surplomblait. Il abaissait son visage pour continuer à l'observer, et à ses côtés, il semblait même la sonder. Ses yeux s'étaient plissés un peu plus comme s'il cherchait la vérité dans ses propos.

Elle jouait avec le feu. L'assassin était d'un naturel méfiant, et depuis la disparition du général il avait tendance à tout analyser, voir sur-analyser. De plus, elle était une courtisane de renom, et on ne lâchait pas ses affaires comme ça pour s'en aller sans retour. Pas quand on était un simple citoyen.

Il commençait à se poser quelques questions, tout à coup.

Sa main vint se glisser sur ses lombaires pour englober sa taille, et Talon se pencha un peu pour venir poser son menton sur son épaule. Il se rapprochait toujours un peu plus, comme un loup gris qui cherchait à flairer la véracité de ses réponses à toutes ses questions.

Talon pencha sa tête sur le côté quand la main tendre d'Astarté vint rejoindre sa joue. Il l'observait dans les yeux sans jamais la relâcher du regard et c'était tout comme s'il ne clignait pas des paupières pour mieux lire dans les deux fenêtres à l 'apparences de grosses billes de jade donnant sur son âme. Se redressant peu à peu après ses mots, il ne put empêcher le soulagement de gagner le sang qui coulait à l'intérieur de ses veines.

Shurima.

Elle va sûrement dans les parties du désert accaparées par les noxiens. Ce n'était donc pas vraiment "aller à l'étranger".

L'assassin s'était déjà rendu dans cette région plusieurs fois et il était assez catégorique sur le fait qu'il ne l'aimait pas du tout, de toutes les régions de Runeterra. Il préférait bien plus la toundra glaciale de Freljord qui faisait claquer des dents et venait givrer les os. La chaleur, ça l'insupportait parce qu'il transpirait sans cesse, et que le soleil était trop brut, trop puissant au point de faire tomber de fatigue des bêtes et des hommes aux gorges sèches.

Oh, je sais bien que je ne te possède pas, et je n'en ai aucunement l'intention. Je ne faisais que des... suggestions.

Répondit-il en reculant d'un pas avant de se laisser tomber assis sur le lit. Encore, l'homme eut le reflex de tirer la couverture vers le bas de son ventre. Son visage était relevé vers le sien, et ses iris bruns se mirent à suivre la fumée qu'elle expirait formant un fin nuage gris qui s'évanouissait à la fenêtre. Il faisait si bon, dehors.

Talon glissa encore sa main épaisse dans sa chevelure, plusieurs fois tout en reprenant la parole.

Je n'aime pas cet endroit. Je n'aime pas le sable, il est grossier, agressif, irritant et il s'insinue partout. Qu'est-ce que tu vas faire là-bas ? Rejoindre une maison close ? Ce n'est pas judicieux d'aller vers le sud, en ce moment. Je n'entends pas de bonnes choses en ce moment.

Jamais n'avait-il autant parlé. Était-ce parce qu'il était relâché et détendu suite à leurs ébats ? Non. Il l'est toujours, mais ce qui le met à vif c'est qu'elle va partir, et qu'il n'aura plus la courtisane qu'il aimait venir voir, qui était son habitude hebdomadaire.

Quand il mentionnait les rumeurs, il parlait surtout des mots qui se couraient après dans les rues, parlant de corruption, d'attaques à Bilgewater ou au Mont Targon. Il avait même entendu parler de batailles à Zaun, bien qu'il se disait que c'était monnaie courante là-bas, avec les conflits de Piltover. S'il en savait autant, c'était grâce à ses oreilles attentives, et à ses recherches du général Du Couteau. À force de fouiller partout, de toujours se renseigner sur les événements du monde et grâce à quelques contacts qu'il payait grassement pour lui envoyer des lettres de compte rendus sur ce qu'il pouvait se passer... forcément, Talon Du Coteau était bien renseigné. Pourtant, le renseignement ne suffisait plus, dernièrement.

Quelque chose se passait, et quelque part, il ne voulait pas qu'elle soit au milieu de tout ça.

Si elle venait à mourir, il serait quelque peu chiffonné.

Ce serait... regrettable, qu'il lui arrive quelque chose. Il n'imaginait pas que derrière cette taille fine et petite se cachait une véritable combattante, parce qu'il ne l'avait jamais soupçonné de rien. Néanmoins, il restait généralement méfiant envers n'importe qui.

Peut-être rejoint-elle de la famille, se dit-il à nouveau.

Alors naît dans son esprit qu'il devrait fouiller un peu à son sujet dans les archives noxiennes pour savoir d'où elle venait. Il ne lui avait jamais demandé. S'il pensait qu'elle pouvait avoir des cousins, des cousines ou même des parents dans ce côté là du monde, c'était parce qu'il était faussement persuadé qu'elle devait venir de là-bas, à sa manière de s'habiller, et à son teint halé. D'habitude, Talon faisait toujours en sorte de se renseigner sur ceux qu'il côtoyait, mais Astarté avait fait une entorse à la règle.

Après tout, ce n'était qu'une courtisane.

De plus, ce n'est peut-être pas tout à fait sécurisé pour toi d'y aller seule de toute façon. Tu as une escorte ? Après tout, tu pourrais rencontrer des bandits.