a cause worth dying for - Sejuani

Aéris goutait la mort et la glace, une présence qu’elle n’avait jamais senti ainsi dans le haut de son palais. Mais la sensation était là, et elle était partout autour d’elle, quand elle s’était redressée, désorientée à quatre pattes dans les restants d’un givre fondu. Elle n’avait pas compris, elle ne savait pas. Ce qu’elle était. Ce qu’elle était devenue. Aéris se sentait différente, dans la course de la magie spirituelle qui l’avait accompagnée depuis qu’elle avait manqué de mourir.

La marche jusqu’à la Griffe avait été longue, sans qu’elle ne puisse définir le temps que ça lui avait pris. Les étoiles s’étaient succédé, et elle s’en était guidée pour retrouver un sens de la réalité. Le monde lui paraissait bien réel et elle était persuadée qu’elle n’était plus dans une déambulation de ses transes givrées. Mais il manquait quelque chose, comme si elle était décalée du réel. Aéris n’avait pas d’explication, ses derniers souvenirs flous. Elle se souvenait de la sensation du blizzard qui lui avait martelé toute sa peau nue de la colère de l’hiver. Elle avait entendu la voix de Sejuani et celle de tout le Nord pendant des jours entiers.

Et elle avait entendu deux voix qu’elle ne connaissait pas.

Mais elle savait.

C’était son rôle de savoir, et ainsi s’était-elle retrouvée jusqu’aux portes de la Griffe. Elle entendit les expressions de surprise et quand son nom fut appelé, elle interrogea. « Combien de jours ? » Il n’était pas rare qu’elle disparaisse pendant trois jours. Mais la réaction était aussi démesurée que le changement qu’elle sentait en elle. « Ça fait plus d’une semaine, Aéris. On te croyait morte. – Oh. » Elle observa un temps d’arrêt et finalement, elle lâcha. « Tous les faibles ne sont pas capables de mourir. » Mais ça avait un goût faux dans sa bouche et elle grimaça. Sa faiblesse la reprit et elle fut accompagnée jusque ce qui lui servait de maison. On lui alluma un feu et on lui apporta une bouillasse chaude. Mais la chaleur l’insupportait et elle avait demandé à être seule.

Elle resta sur le pas de la porte, entre l’intérieur et l’extérieur. Entre l’ici et l’ailleurs. Aéris était perdue dans ses pensées, et ce ne fut que trop tard – quand Sejuani se tenait devant elle – que la devineresse reconnut qui l’avait rejoint. « Warthmother. » Et elle chercha ses mots, à travers ses maux et sa confusion évidente. « Es-tu là pour les informations sur Ashe ? » Ses sourcils se froncèrent. Elle ne se souvenait de rien. Devait-elle le reconnaitre et l’avouer à celle qui l’avait déjà blâmer pour sa faiblesse ?

Plus d’une semaine était passée. Plus d’une semaine s’était écoulée. Et le temps lentement avait fait son oeuvre, entrainant l’inquiétude, puis suivi des regrets. Sejuani n’avait rien montré. Une faible était morte en s’enfonçant dans la neige pour elle. Une faible était morte en cherchant des informations pour le clan. Une faible était morte. Mais elle n’avait pas été n’importe quelle faible, et Sejuani mentirait si elle disait n’avoir rien ressenti, n’avoir pas eu ce besoin de faire le deuil de cette personne qu’elle même avait probablement envoyé à la mort. Mais ce n’etait pas sa faute. C’était pour le bien de la tribu. C’était pour le bien de tous. Pour le bien de Freljord. Ce n’était pas pour elle. Jamais pour elle.

Alors Sejuani fit son deuil. Mais elle le fit en silence.

Alors Sejuani fit son deuil. Mais elle ne le montra pas.

Plus d’une semaine était passée maintenant et le dernier charme accroché à sa tenue était usé tant elle avait tiré dessus et l’avait gardé entre ses doigts comme une simple breloque qui n’en était plus vraiment une. Memento d’un ancien temps. Symbole d’un regret qu’elle ne s’avouerait pas avoir.

Des jours étaient passés. Des colères avaient explosées, plus violentes que jamais, plus tumulteuses que le blizzard qui avait fait rage pendant tant de journées au Sud de leur village. Des jours étaient passés et pourtant, droite comme un récif au milieu des marées de frimas, Sejuani avançait. Elle guidait son clan d’une mer de fer, aussi dure que la glace pure dont elle maniait l’arme. Des ordres avaient été donnés afin de trouver d’autres prophetesses. Des chasseurs étaient partis vers l’Est pour ramener de la nourriture. Le clan continuait de vivre, et rien dans cet enfer glacé n’était marqué du deuil que l’absence d’Aéris aurait bien pu causer. La vie continuait, parce que telle était la vie dans les contrées glacées. Les faibles ne survivaient pas, et un jour ou l’autre les dieux venaient reclamer leurs âmes.

La clameur la surprit alors qu’elle était occupée à brosser Bristle. Tout commenca par quelques mots, une exclamation de stupeur et des voix plus fortes que d’autres. C’est Jörg, l’un de ses plus anciens conseillers qui vint lui annoncer la nouvelle. Aéris est en vie. Sobre. Sans fioriture. Sans explications.

Alors Sejuani bougea, comme mue par le destin.

Alors ses pas la menerent devant cette devineresse qu’elle croyait perdue.

La en face de la femme torse nue qui semblait avoir survécu au pire des blizzards elle resta silencieuse, se perdant dans un mélange entre regrets, pensées et contemplations. Aéris était la, où elle ne pouvait l’être. Se pouvait il que la devineresse ait trouvé une cache dans la quelle se refugier, une grotte où se rechauffer ? Sa peau elle même semblait entière mais différente, comme si quelque chose rampait à l’interieur. Sejuani, colère de l’hiver, cheffe de clan, chef de guerre, fronca alors les sourcils. Et ce ne sont que les mots confus de sa pretresse qui la ramenerent sur le moment.

La. En silence elle ota la peau de loup qui ornait ses épaules et vint la poser sur celles beaucoup plus frèles d’Aéris. « Nous avons à parler. » Sans répondre à sa question, elle ne lui donnait pas matière à protester, commencant à marcher en attendant qu’elle lui emboite le pas. Car c’était un ordre, et on ne discutait pas ses ordres.

C’était comme être face à un fantôme, à un esprit. Aéris comprenait le concept de la personne qui était face à elle : Sejuani, warmother, cheffe du clan, cheffe de guère, forte parmi les fort.es, occasionnelle amante, colère de l’hiver, femme qui n’acceptait pas le non, ni la faiblesse. Femme qui l’avait poussée dans ce blizzard, malgré ses réticences. Mais Aéris n’arrivait pas à y accrocher ses émotions, comme si elles avaient été abandonnées sous des centimètres de glace, une glace éternelle d’où elles ne pourraient être jamais déterrées. Aéris se souvenait des sentiments, de ce que ça devait lui inspirer, de ce que Sejuani devait éveillée chez elle, une dualité tendancieuse et insécurisante.

Mais là, à cet instant, Aéris était face à Sejuani, un concept qu’elle pouvait toucher, mais qui d’une manière ou d’une autre restait intangible. Comme si Aéris saisissait enfin, après quelques années, qu’elle ne pourrait jamais comprendre Sejuani.

Aéris n’était pas forte.
Elle ne le serait jamais.
Quelle était donc sa place dans ce monde qui n’avait eu de cesse de tenter de la tuer ?

Pourtant, une peau de loup fut posée sur ses épaules et Aéris vit enfin Sejuani pour qui elle était vraiment. Une femme forte, certes, mais une femme qui tenait à elle. D’une manière ou d’une autre. Le charme était toujours là, usé, chéri, attaché.

Et Sejuani la dépassa pour rentrer dans sa demeure. Aéris resta interdite de longues secondes, son regard porté sur l’extérieur, plus frais, plus supportable que ce feu qui irradiait depuis la cheminée. Il fallut de longues secondes, pour qu’Aéris se retourne enfin, et que son regard se pose sur Sejuani. « Es-tu là pour me menacer de mort ? » Pour Aéris, même si elle avait notion du temps qui était passé, elle ne l’avait pas ressenti. La dernière conversation qu’elle avait eu avec la colère de l’hiver était encore ancrée dans sa mémoire. Bien que sa psyché nouvelle et encore trouble posait un filtre sur celle qu’elle avait un jour été.  

Celle qu’elle ne serait plus jamais.

Ses doigts se perdirent sur la peau de bête et quelque part, elle reconnaissait que ça devait être une preuve d’affection, de la couvrir ainsi de quelque chose de chaud. Trop chaud pour Aéris, qui pourtant ne dit rien. Elle ne fit rien, toujours attachée à cette porte ouverte qui laissait l’air frais – glacial – du nord refroidir les espoirs d’une demeure chaude. Son regard se posa sur quelque chose qui n’existait pas dans le monde visible. « Es-tu déçue ? Que je ne sois pas. » morte, qu’elle soit revenue ? Mais les mots s’arrêtèrent, suspendus, happés. Ses yeux commencèrent à briller d’une lueur qu’ils n’avaient jamais eu – bleu nuit, bleu mort. Aéris échappa un gémissement de douleur, elle qui pourtant faisait attention de ne montrer aucun signe de faiblesse.

& elle fléchit.

Se fichant du regard des autres elle savait ce que ce simple geste representait. La peau de loup posée sur les épaules de la faible devineresse pour la proteger des éléments qui n’avaient pas eu raison d’elle. Sejuani s’en ficha. Sur l’instant ce qui comptait était la présence devant elle. Et elle ne savait pas comment réagir. Devait elle hurler sa colère quant à ce faux deuil qu’elle leur avait fait vivre ? Ou devait elle simplement faire comme si tout était normal, comme si Aéris ne faisait que rentrer de mission, lui demandant ce qui s’était passé. Peut être que ce serait suffisant.

Quelques instants passèrent. Elle réagit finalement, lui faisant signe de marcher avec elle tandis qu’elle l’invitait à la suivre dans sa demeure. Tente confortable pour une devineresse, où une cheminée avait été constamment allumée pour chasser le froid et les esprits qui pourraient venir. Chaleureuse. Emettant une chaleur dont Sejuani n’avait pas besoin mais qu’elle trouva agréable quand même.

Les mots d’Aéris la briserent davantage que les moments où elle l’avait cru morte. Alors Sejuani se renfrogna. Rude et rustre colère hivernale. Elle fixa la femme en face d’elle, hésita à toucher cette peau de bête qui était sienne, se retint. « Non. » Un simple mot. Simple réponse à une question qui la renvoyait plus d’une semaine plus tot. Oui, elle avait menacé Aéris. Et sans ça, peut être que la devineresse ne serait jamais partie, sans ça, peut être qu’elles n’auraient pas subi les dernieres journées. Sa machoire se serra un peu plus. Son visage se crispa.

« Non. » A la seconde question encore. Elle devait s’occuper, alors elle bougea un peu dans la pièce, son regard se posant sur chacun des objets qui remplissaient le vide, avant de se fixer encore sur Aéris. Pourquoi serait elle décue ? D’autres le seraient peut être. Elle était soulagée, mais elle ne savait réellement comment le dire. Alors elle resta silencieuse encore quelques instants, cherchant les mots qui briseraient la glace. «  Non. Je ne suis pas décue. » Un peu plus de paroles aideraient probablement. Ses yeux se plissèrent, elle échappa un soupir qui ne laissa pas apparaitre de buée, tant la pièce était chaude.

« Je suis… » Elle se reprit. Il y’avait des choses qu’elle ne pouvait dire. « La Griffe a besoin de toi. C’est un soulagement que tu sois la. » La griffe. Ou elle même. Nul ne le saurait jamais.

Elle ne put en dire davantage cela dit, que déja quelque chose se passa en Aéris, et deux yeux glacés fixerent le corps qui sembla se figer en un couinement de douleur. Mouvements rapides d’une femme trop brute pour être tendre au milieu de cette tente demeure, poussant les quelques babioles qui pouvaient se trouver sur sa route. Elle arriva. Elle passa un bras autour des épaules d’Aéris. Elle la tint contre elle. Elle la soutint pour qu’elle ne tombe pas.

« Aéris ? » Et toute l’inquietude du monde se senti dans ce simple prénom.

Aéris était une enfant de douleur, comme tous ceux du Freljord. Elle avait grandi aidée de la souffrance de la faim, du froid, d’un couteau qui sectionnait les jointures de ses os. Elle y était habituée, ce n’était pas une personne qui se plaignait, ni qui montrait sa peine physique. Elle avait épié le malheur de son peuple à travers ses visions de gel et de givre, enfant curieuse de la souffrance du monde. Elle pensait avoir tout vu, tout entendu.

Mais là, sur le pas de la porte de sa tente, Aéris expérimenta du neuf, du vibrant. Elle expérimenta sa propre mort, qui lui revint en des sursauts de cognition forts, pas seulement dans son esprit, ou son cerveau, mais à travers sa chair et ses os. Elle exprima le traumatisme, non pas à travers la mémoire, mais à travers ce pouvoir qui se mouvait, neuf et vibrant, furieux d’une vie qui allait à l’encontre de sa fibre même : celle de la mort.

Ses iris étaient noires et elle s’agrippa aux avant-bras de muscle et de givre de la Sublimée. Aéris avait à peine entendu les propos de Sejuani, son esprit à des lieux de là, dans cette prison de glace et de roche qui l’avait maintenue entre eux. Entre la vie et la mort. Entre l’Agneau et le Loup. Pire que de sentir leur présence à côté d’elle, elle sentait le Kindred en elle.

La peau de prédateur glissa de ses épaules et elle enfonça sa tête contre l’armure froide de Sejuani. « Je. Je suis morte là-bas. » La réalisation la frappa et quand elle leva la tête vers la colère de l’hiver, ses yeux sans iris ne voyaient pas la grande guerrière. Ses yeux qui brillaient de la nuit et de ses étoiles étaient concentrés sur cette vision d’elle-même dans son tombeau creusé par le blizzard. « Ils étaient là. » Parlait-elle des deux gardes qui l’avaient suivi pour subir le même sort funeste que la devineresse ? « Ils sont toujours là. »

Ce n’était pas les étoiles qu’elle avait suivi jusqu’à la Griffe, c’était le reflet de ses propres yeux, de son pouvoir qui s’éveillait. Elle cligna furieusement, la froideur de Sejuani la seule chose qui arrivait à contenir ses tremblements. Et elle s’accrochait à celle qui l’avait poussée à sa mort, comme si sa vie en dépendait.  

Elle avait agit rapidement Sejuani. Elle s’était emparée d’Aéris, la tenant contre elle, lui offrant un pillier et un soutien. Elle la tenait désormais, cette frèle femme dont le corps s’était jadis mélé au sien à la chaleur d’un brasero. Elle la tenait contre elle, ses mains dures et marquées par le froid et les armes s’accrochant à un corps qui n’avait jamais connu de combat. Un corps dont elle s’inquietait désormais. Un corps que plus que tout elle voulait proteger sans même réaliser qu’il s’agissait de cela, inquiétude, protection. Pour le clan bien entendu. Le clan qui avait besoin de sa pretresse du givre, le clan qui avait besoin de sa devineresse. Ce qu’elle désirait elle ? Cela pouvait passer au second plan, voir même bien plus loin.

Le clan avait besoin d’Aéris, et c’était la seule raison pour la quelle Sejuani la retint. La seule raison pour la quelle elle ferma le battant qui servait de porte à la yourte, pour leur offrir de l’intimité, et la seule raison pour la quelle elle ne la tua pas sur le champs quand elle réalisa qu’il se passait quelque chose d’étrange.

Sejuani avait toujours été forte pour se mentir à elle même.

Il y’avait quelque chose d’étrange dans la jeune femme. Quelque chose qui se passait. Du surnaturel comme quand elle avait saisi son fléau de glace pure. Quelque chose de pire. Ses yeux resterent fixer quelques instants sur le corps qui se défaisait de la peau de loup, oubliée sur le sol. Ses yeux bloquerent sur la frèle femme qui se précipita vers elle, se refugiant dans le giron de son armure glacée. « Aéris ? » Sourcils froncés, elle glissant ses doigts maladroits dans les cheveux blancs de la devineresse. Puis elle figea, comme sciée sur place par les mots qui s’echappaient des lèvres de la femme plus petite, plus fragile qu’elle.  

« Tu es en vie. Ici. » Sejuani n’était pas une femme de supersitions et de non sens. Elle avait le poids du monde sur son dos, et elle ne pouvait se permettre de se laisser aller à d’étranges reveries. « Raconte moi tout. » Alors elle voulait savoir. Elle voulait des explications. Et sans qu’elle ne le realise ses deux bras se refermerent dans le dos de la jeune femme, lui offrant une étreinte qu’elle ne savait que maladroitement offrir.  La verité était la. Elle avait peur de ce qui se passait, et Sejuani se battait contre la peur.

Elle esperait ne pas avoir a se battre contre Aéris.
Même si celle ci ne se ressemblait plus.

Aéris.
Aéris.
Elle avait entendu son prénom par deux fois.

Aéris.
Elle avait entendu son prénom une fois, prononcé de deux voix différentes. Et il y avait eu le souffle de la mort qui avait recouvert sa prison de blizzard, qui l’avait ramené à la vie. C’était tout. Pas d’explication, pas de main conciliante. La vie (et la mort) fonctionnait toujours de manière énigmatique. C’était à Aéris de comprendre ce qui lui était arrivé. Quand elle avait échappé de justesse au Loup et à l’Agneau, elle s’était contentée de rentrer chez elle, par automatisme.

Maintenant venait la réalisation qui s’accouchait douloureusement de la confusion. « En vie », répéta-t-elle. Aéris ne remarqua même pas l’interrogation qui soulignait ce mot. En vie. C’était tellement étrange, elle ne se sentait pas ainsi, Aéris, entre les bras de la colère de l’hiver qui sous une ire trop forte aurait pu la briser.

Aéris était déjà brisée.

Elle se remodelait dans les bras de la donneuse de mort. Guerrière puissante, guerrière brillante. Guerrière de glace, et c’était tout ce qui semblait calmer Aéris pour le moment. Même la voix de Sejuani n’était pas assez pour la ramener dans cette réalité. Aéris était à genoux, comme elle l’avait été dans cette pleine de neige. Elle ne voyait pas le sol de bois de la tente de la Griffe. Elle voyait le givre qui s’était accroché à sa peau devenue blême, presque grise. « Le blizzard. » Celui d’il y a une semaine. « Il y avait quelque chose dans le blizzard. Je ne l’ai pas senti venir. J’étais concentrée sur l’ailleurs. Sur Ashe et ses troupes. » Elle fronça les sourcils. « J’étais concentrée sur toi, sur ce que tu voulais. » Elle secoua la tête. « Le clan. » Elle avait entendu la voix du clan. Et celle qui voulait tout savoir de Ashe n’était pas le clan.

Sejuani.

Ses yeux étaient toujours de nuit et elle eut un hoquet. Son dos nu se contracta légèrement. Muscles, Os et Magie s’agitèrent et maigre duvet blanc commença à pousser du bas de sa nuque, vers ses omoplates.

Elle se retint de répeter encore le prénom de son amie. Etait-elle vraiment son amie ? Etait-elle plus ? N’était elle qu’une nuissance ? Elle était quelqu’un, elle était quelque chose. Elle était un outil pour le clan malgré ses faiblesses apparentes, et elle avait été un outil pour elle. Elle avait été un peu plus. Sejuani se senti perdue dans ses pensées pendant quelques secondes, mais le froid criant de la verité la ramena à la réalité. Aéris avait un problème. Qu’importe ce qu’elle ait pu être et ce qu’elle deviendrait, la Colère de l’Hiver ne laisserait pas une membre de son clan souffrir, ou subir elle ne savait quel terrible destin.

« Tu es dans le clan. Dans ta demeure. Tu n’es plus dans le blizzard. » Se sentait elle obligée de lui expliquer cela pour aider Aéris a revenir dans la réalité elle aussi ? Se sentait elle obligée d’agir comme un phare ? Ou mieux, comme un rock au milieu des tempêtes de glace ?

Ses bras restèrent serrés autour de la frèle silouhette. Ses bras resterent une ancre dans la réalité. Elle ne lacha pas Aéris, même quand celle ci tomba à genoux, et au contraire petit à petit, lentement, elle s’affaissa elle aussi pour être à la même hauteur. Toujours elle la tenait contre elle. Sans trop savoir si son corps pouvait aider, ou simplement sa présence. Elle restait juste la, immobile, impassible, et elle aurait fusillée du regard quiconque serait rentré et aurait brisé ce moment.

Peu à peu Aéris dont les yeux étaient noircis commenca à parler. Le blizzard. Les troupes. Une présence. Des mots sur Ashe et sur le clan. Une demande. Sa demande. Sejuani quelques instants se senti assaillie de souvenirs, de regrets. Non. Elle ne pouvait pas avoir de regrets, car elle faisait tout pour le clan. Et si sa fixation sur Ashe avait quelque chose de personnel, les Avarosans étaient leurs ennemis. C’était pour le clan qu’elle faisait tout ça. Pour le clan. Pour Freljord. Pour ceux qui le meritaient.

Ses doigts non gantés - elle ne craignait pas le froid, et le laissait la mordre tant qu’il le fallait - et presque glaçés, tenaient le dos nu, y passant lentement comme en une simple caresse. «  Nous parlerons d’Ashe aprés. Parle moi du Blizzard. Parle moi de la présence. Qu’est ce que c’était ? » Elle n’était pas ce genre de femme qui parlait beaucoup Sejuani, et encore moins ce genre de personne trop maternelle, trop avenante. Pourtant elle essayait de moduler sa voix pour qu’elle soit plus douce, toujours un rien rauque, toujours froide, car elle ne connaissait pas réellement la chaleur.

« Qu’est… » Une surprise la frappa néanmoins quand sous ses doigts qui tracaient de leger sillons qu’elle voulait rassurant dans ce dos nu, elle senti quelque chose. « Aéris. Que s’est il passé ? » Ce duvet qu’elle sentait sous ses phallanges n’avait plus rien d’humain.

Aéris était trop concentrée sur cette magie qu'elle ne maîtrisait pas, pour se rendre compte de la gestuelle de Sejuani. L'aurait-elle apprécié, avant le blizzard ? Aurait-elle cherché un sens à cette absence de dureté chez la colère de l'hiver ? Aurait-elle su déceler ce que les mots ne pouvaient exprimer ?

Mais il était trop tard.

Ce que ressentait Aéris pour Sejuani était resté dans le blizzard. Une nouvelle dualité avait pris part d'elle. Aéris ignorait juste qu'elle était de Loup et d'agneau. Elle ignorait et c'était la plus grande confusion, elle qui tentait de remettre de l'ordre dans ses idées,  dans son passée. Sejuani n'était d'aucune aide et Aéris aurait dû trouver une poésie ironique à la situation. Elles étaient toutes les deux faibles à cet instant.

Ça n'aurait pas dû. Sejuani était forte, elle était hiver, elle était colère. Elle n’avait pas sa place agenouillée au sol pour tenter de soutenir Aéris. Sa faiblesse était contagieuse, et quoi d'autre le serait, une fois que la magie aurait terminé de se mouvoir en elle et éclorait de son cocon de chair.

« Je ne sais pas. Ça lui éclata à la figure. Aéris se redressa soudainement, et de ses mains elle tenta de repousser Sejuani. Son absence de force fit que ce fut elle-même qu'elle projeta en arrière. « Tue-moi. » Elle cligna des yeux, et ses iris retrouvèrent sa couleur normale, éclat d'argent et de raison. « Je n'aurais pas dû revenir ici. » Elle chercha à attraper l'armure de Sejuani, mais ses doigts se fermèrent faiblement sur le charme qu'elle avait attaché, une semaine auparavant. « Je suis un danger. »  & Aéris aurait ri, si fort, si fort, s'il n'était pas question de son sort.

Aéris n'avait jamais été un danger. Elle n'avait jamais été assez forte pour l'être. Et maintenant qu'elle effleurer l'idée erronée, voici ce qu'elle demandait. « Tue-moi. » Elle le répéta, ses yeux plongés dans ceux de la colère

Sejuani non plus ne remarquait pas - ne voulait pas remarquer - la gestuelle un rien tendre qu’elle avait avec cette devineresse. Comment aurait elle pu, quand des oeillères étaient placées devant ses yeux, comment aurait elle pu quand elle même considérait que l’affection et la tendresse puissent être l’une des pires faiblesses. Aprés qu’Ashe ait piétiné sa confiance, elle s’était juré de ne plus jamais s’attacher à qui que ce soit. Etait-ce un tort ? Avait elle échouée ? Tout ce qu’elle savait était que la façon dont elle tenait la femme dans ses bras sur le moment n’était pas la façon dont elle tenait d’autres quidams du clan. Elle cacha cette information dans un coin de son esprit et se concentra sur le moment présent. Elle était bonne pour ça.

Le moment était grave, alors Sejuani parla, brisa ce silence effrayant qui s’insinuait entre elles. Le moment était grave, alors la femme de glace prit la parole, ordonnant, comme elle savait si bien le faire.  

Aéris se releva.
Aéris la repoussa.

Colosse parmi les humains, la grande femme - dont la stature était plus imposante que sa taille réelle - se redressa a son tour, vivement. Et attrapant les mains qui la repoussaient et les bloqua alors qu’elles se fixaient sur le charme auquel Sejuani avait attaché ces derniers jours une attention toute particulière. Les mains fermes de la Colère Glacée s’accrocherent aux poignets de la devineresse - plus si faible que ça - et les bloquèrent d’un coup.

« Tu es revenu chez toi. » Le ton un peu plus ferme, l’air determiné. Elle ne laisserait pas Aéris penser qu’elle n’était pas la bienvenue. Sejuani avait affronté des druvask enragés, des armées noxiennes, des créatures des neiges et des traitres dotés de magie. Elle n’avait pas peur d’un duvet de poil se formant à la base du corps de sa devineresse.

Alors Sejuani laissa échapper un rire plus fort qu’elle ne l’aurait pensé.

Secouant la tête, sa prise sur les mains d’Aéris devenant un peu moins ferme, mais son regard devint glace. « Je ne te tuerais pas. » Son ton fut sec, froid, le rire cessa. « Je ne te tuerais pas. Et nous comprendrons ce qui t’arrive. »  Une main lacha les poignets pour venir effleurer le duvet qui commencait à naitre au bas de sa nuque. Et puis d’un murmure plus bas, elle rajouta esperant à moitié qu’Aéris ne l’entende pas. « Tu ne seras jamais un danger. »

Plus tard elle maintiendrait l’idée qu’elle n’avait pas voulu la tuer car Aéris n’était pas une menace pour le clan, car Aéris était utile malgré ce qui lui arrivait. Plus tard, elle maintiendrait que tout était Pour le clan. Car il ne pouvait pas en être autrement.

Bien sûr que Sejuani ne la tuerait pas. Ca n’avait jamais été que des menaces, de grandes paroles pour mettre le monde en motion. Ca n’était pas le regard détaché d’une mère qui s’approchait avec une larme courbe de ses mains d’enfant. Mais il y eut un rire, et Aéris se serait offusquée, si elle avait de la place en elle pour ce sentiment. Non, il restait la panique, et la réalisation que quelque chose changeait, profondément en elle.

La main de Sejuani sur elle n’éveillait plus les mêmes sensations. Aéris fronça les sourcils à ce petit quelque chose dans sa nuque. Sa main rejoignit celle de la Colère, pour frotter ce qui était apparu, et qu’elle n’avait pas encore senti. « Qu’est-ce ? » En même temps, Sejuani la rassurait sur son rôle de danger. Ca s’éveilla en elle, cette volonté de prouver qu’elle pouvait être un danger, de prouver un jour, que Sejuani avait tort. Les paroles devaient être rassurantes, ça devait l’être, que la warthmother ne la prenne pas pour une menace.

Mais il y avait ce pelage doux, sous ses doigts et Aéris tenta de les arracher, d’enlever cette apparition qui n’était ni humaine, ni saine. « Tu ne le sais pas Sejuani. Tu n’es pas devineresse. » Peut-être que la hargne utilisée était de trop, mais il y avait cet inconnu de sa personne, et elle ne pouvait pas le supporter.

Elle redressa la tête. « C’est ça. » Elle n’était pas la seule capable de comprendre l’invisible. Aéris n’avait pas été la seule à avoir été attirée par Sejuani. Il y avait d’autres voyantes qui pouvaient lui venir en aide, lui faire comprendre ce qu’il se déroulait. Avec l’énergie du désespoir, elle récupéra la peau de loup qui avait été abandonnée, pour la placer sur son duvet d’agneau. Ce n’était pas qu’elle avait froid. Non, Aéris mourait de chaud, près de ce feu. C’était par soucis de pudeur, de cacher aux yeux des autres ce qu’elle devenait, tant qu’elle n’avait pas une entité précise à blâmer.

A nouveau, elle s’arrêta sur le pas de la porte, entre le connu et l’inconnu. Aéris se retourna vers Sejuani. « Promets-moi que si je suis un danger, tu m’arrêteras ? » Même si elle ne serait jamais un danger, jamais une menace. Sejuani était la seule personne envers laquelle elle faisait assez confiance pour lui confier le reste de sa vie.

Même si elle était faible et que n’importe qui aurait pu mettre fin à ses jours, il en faudrait une plus fort que le blizzard.

« Je ne sais pas. On dirait la naissance de poils ou de plumes, comme un jeune animal. » Elle ne savait pas vraiment comment expliquer ça Sejuani, mais la verité de la chose était que personne n’aurait su l’expliquer sur le moment. Bien entendu il y’aurait eu d’autres gens, peut être plus rassurants, peut être plus savants. Mais Aéris devrait se contenter d’elle, de son froid mordant et de ses paroles qui le restaient tout autant, même quand elle tentait d’être chaleureuse, même quand elle tentait d’être agréable. Elle ne le serait jamais. Elle ne serait jamais la mère aimante, ou l’amie attentive. Elle était la chef de clan, la chef de guerre, la représentation du froid glacial de Freljord. Elle était inébranlable, et pourtant ce qu’elle touchait était en train de l’ébranler.

« Lache ça. » Elle rattrapa une fois de plus la main de cette femme - plus si faible - qui semblait voulait arracher des propres morceaux d’elle même. « Ce n’est pas en les arrachant que tu les feras disparaitre. » Sa voix tentait d’être rassurante toujours, elle n’y arrivait pas.

Elle y parvint encore moins quand la hargne d’Aéris s’entendit dans sa voix. Lachant sa main, elle se redressa, les épaules solides, et la machoire fermée. « Non, je ne suis pas devineresse. Mais je demeure ta cheffe, et je te connais, que tu le veuille ou non. » Yeux glacés se posant sur des pupilles plus sombres, Sejuani la fixa quelques instants de plus. « Les autres prophètes pourront t’aider. » Ne faisait elle que vocaliser ce qu’Aéris venait de penser ? « Nous trouverons une solution. » Etait-ce une promesse ? Trés certainement. Une qu’elle regretterait bien plus tard, elle n’en doutait pas.

Une autre promesse du se faire, et Sejuani regarda la femme avec quelque chose dans ses yeux qui ressembla à de la tendresse, qui ressembla à de la faiblesse. Elle le dissipa bien vite. « Tu réalise ce que tu me demandes ? » Et deux cruelles realité de leur existence dans le froid vinrent frapper la colosse de la griffe. La première était qu’Aéris realisait tout a fait ce qu’elle demandait. La seconde, que quoi qu’il lui en coute, Sejuani le ferait. Car le clan passait avant le reste. Car Freljord passait avant la faiblesse d’une affection. Un silence se dressa entre elles aprés ces mots, et Sejuani la fixa longuement.

Machoire toujours serrées, les yeux de givre se poserent une nouvelle fois sur la silouhette frèle avant que dans un mouvement imperceptible, la Colère de l’Hiver hoche la tête. « Je le ferais. » Bile d’amertume à cette promesse, qu’elle se chargerait d’honorer.

« Rien ne dit que tu en seras un. » Certes il y’avait quelque chose d’un peu…. Particulier dans son dos, et dans ses yeux. Mais cela ne voulait rien dire n’est ce pas ?

Aéris avait envie de faire tout pour prouver le contraire des propos de Sejuani. Que oui, si elle tirait assez fort sur les poils qui recouvraient son derme, elle les ferait partir. Que oui, elle serait une menace et la colère de l’hiver n’aurait pas d’autre choix que de l’abattre sur le champ. Parce que prouver que Sejuani avait tort, serait prouvé que ce qu’elles percevaient toutes les deux n’étaient pas vrai. Qu’il y avait une trace de faux et qu’Aéris pourrait effacer tout de cette semaine étrange.

Il y eut un blanc, un calme après la demande d’Aéris. Sejuani lui demanda confirmation et il fut si aisé pour la devineresse de renvoyer les propos de la warthmother. « Tu demeures la cheffe, que tu le veuilles au non. Je suis sous ta responsabilité. » C’était cruel d’appuyer ainsi la position de Sejuani contre elle-même. Aéris ne demandait que la colère se désolidarise de l’identité de la Griffe, de temps en temps. Et ici, elle retournait le nom du clan contre celle qui était à sa tête.

Aéris perçut le changement dans le regard de Sejuani. Une résiliation que ne collait pas à la peau froide de la Sublimée. « Merci. » C’était étrange, de la remercier. C’était étrange, ce soulagement qui la prit, quand elle savait que Sejuani était là pour la retenir, si l’inconnu était un problème. Du dos de ses phalanges craquelées par le gel, elle tendit la main pour caresser la joue de Sejuani. Le froid la rassura un peu plus et elle se retira vite, pour ne pas céder à la tentation de prolonger le contact.

Sans un mot de plus, Aéris sortit de la tente. Le froid lui fouetta le visage et elle soupira d’aise, d’être loin des flammes. L’air portait l’odeur de la neige et elle leva les yeux vers les nuages gris qui les surplombaient. La marche jusqu’à la tente d’une autre voyante était courte et elle se fit dans le silence. Aéris savait que Sejuani tenait à son image de force, et la devineresse se faisait violence pour ne pas montrer la faiblesse qui l’habitait, plus qu’à l’accoutumer.

Sejuani était soucieuse. Pensive. Perdue dans quelques idées plus sombres que la neige ne l’était habituellement. Mais plus que tout, elle priait toutes les divinités réunies, quelles qu’elles soient, qu’elle n’ait pas a en arriver au pire. Elle priait interieurement oui, que ce qui arrive à Aéris ne soit qu’une mauvaise passe, ou un jeu du destin qu’elles puissent contrer. Et pourtant il y’avait cette voix a l’intérieur d’elle qui lui disait de se préparer au pire, de se préparer a une fois de plus devoir être forte en face de ces rares personnes qu’elle laissait entrer dans son coeur. Alors elle serra les dents, et à la pique cruelle qu’Aéris lui offrait, elle sentit comme des milliers d’éclats de glace pure qui vinrent la heurter.   « Tu l’es oui. Je ferais ce qui doit être fait. » Pour le clan. Elle ne rajouta rien. Cette promesse amère était déja bien trop cruelle, bien trop violente, bien trop douloureuse. 



La resilience se fit. Acceptation de leurs destins. Et Sejuani finalement hocha la tête, silencieuse et froide. Des doigts glacés vinrent caresser sa joue et instinctivement elle bougea sa tête en conséquence, pour profiter davantage d’un contact qui n’était que pour elle et n’était pas pour le clan. Un contact qu’elle chéri plus que les précents, ceux qui étaient venus par nécessité, ceux qu’elle avait voulu mais n’avait pas su assumer.  Il ne fut pas assez long.



Et déja un nouveau silence, pesant mais rassurant à la fois se fit. Des pas firent craquer la neige au dehors, et Sejuani repoussa la toile qui servait de porte pour sortir à la suite d’Aéris. Un mouvement de sa tête aux deux gardes qui attendaient non loin et puis elle emboita le pas à la devineresse. En silence. Les mots avaient déja été dit, et la route était brève, vers celle qui briserait peut être leurs destins. 



La tente de l’autre prophétesse était plus sombre que les autres et deux braseros mystiques les illuminer à leur arrivée. Sejuani soupira, et en silence elle passa la première, tenant la tente ouverte pour qu’Aéris puisse s’y immiscer aprés elle. Du regard Sejuani jaugea la femme au visagé marqué par des tatouages divers. « Dunlaith. » La vieille femme hocha la tête, et d’un mouvement de main les invita à se rapprocher. Pendant des années Dunlaith avait été plus une mère que sa propre mère, et Sejuani tenait en respect la femme en face d’elle, comme elle n’avait jamais tenu quiconque d’autre. Pourtant, l’attitude dure, et le visage sérré, elle n’appréciait pas cette rencontre portée par la nécessité.

« Montre lui. Je ne quitterais pas cette tente sans avoir des réponses. » Charabias mystiques et encens se mélèrent à l’atmosphère tandis que la vieille femme dont les cheveux roux tiraient maintenant vers le blanc se rapprochait d’elles deux, et d’un mouvement de son baton fit tomber la peau de loup, la laissant heurter le sol une fois de plus. Sejuani n’aurait peut être pas du assister à ça. Mais elle ne quitterait pas cette tente, car les réponses la concernaient, plus qu’elles ne concernaient le clan.

Le silence était désormais brisé par des bribes de paroles qu’elle ne comprenait pas, et tentant pour une fois de rendre sa présence moins dure, moins importante, elle recula dans un des cotés de la tente pour laisser les femmes de mystères réaliser leurs oeuvres.  Des mots plus forts que l’autre néanmoins firent relever sa tête et fremir tout son être. « Tu as été touchée par des dieux. Tu as été touchée par l’Agneau et le Loup. » Ia révelation aurait du être plus dramatique peut être, mais ni Dunlaith ni Sejuani, ni quiconque du Nord n’était personne à se perdre en de longues dissertations et larges mises en scenes.

Sejuani figea.

Aéris laissa son corps étranger être touché par les mains usées et vieillies de Dunlaith. Elle répondait avec attention aux questions qui lui étaient posées, sans interprétation, sans dissolution dans un vocabulaire vidé de son mysticisme. Quelques poils de son pelage fut coupés, ainsi que la pointe de ses cheveux. Dunlaith garda sa main extrêmement longtemps sur son poignet, puis sous son cou, sa magie inspectant celle qui contaminait Aéris.

« Tu es bien morte là-bas, fille du froid », confirma Dunlaith. Et Aéris hocha la tête, rassurée que sa version soit comprise. Elle n’était pas folle, Aéris. Sa divination ne lui avait pas fait perdre la tête. Non. C’était bien pire. Elle avait dépassé un point de non-retour. Et pourtant, elle était dans la tente de Dunlaith, en vie.

Autant qu’elle pouvait l’être.

La réponse vint, finalement, après de longues minutes d’observations. « Kindred. » Une double voix. Une double présence. Aéris était incapable de se relever, de regarder Dunlaith, et encore moins Sejuani. Que pouvaient bien lui vouloir les dieux de la mort ? Elle se pencha en avant, et passe ses mains dans ses cheveux rendus encore plus blancs par le blizzard… ou par l’Agneau. « Je n’ai jamais tué personne. » Et elle eut un rire désillusionné, devant l’erreur que les dieux avaient commise en choisissant Aéris comme avatar. « Tu es en pleine métamorphose, plus est à venir avant que tu ne trouves ta stabilité. Le clan a gagné beaucoup avec ton retour. » Aéris expira, désillusionné.

Finalement, elle se tourna vers Sejuani qui était restée dans les recoins de la tente, pour ne pas interféré. « Est-ce que c’est ce que pense le clan, warthmother ? » Car Aéris ne savait pas quoi penser réellement de son changement. Kindred n’était pas un des dieux qu’elle vénérait, contrairement aux guerriers de Freljord qui cherchaient le Loup.

Aéris aurait probablement choisi l’Agneau, si elle avait été amenée à croiser la dualité de la mort.
…
Aéris avait probablement choisi l’Agneau. Était-ce la raison de son manteau de fourrure clair qui apparaissait ?  

Dunlaith était cette présence rassurante pour Sejuani, et pourtant sur le moment, elle ne la rassurait pas. Sur le moment la fille du Nord sentait un froid grandir en elle, un de ceux qu’elle ne savait pas vraiment comment contrôler. Alors témoin muet d’un spectacle au quel elle n’avait d’autre choix que s’abandonner elle regarda, elle écouta. Les mots qu’elle entendait, les gestes de Dunlaith toujours doux mais précis, l’odeur de la magie s’insinuant entre elles trois, et plus précisément entre les deux devineresses. Elle les laissa faire. Malgré l’envie fougueuse de repousser la main de Dunlaith, celle qui trancha les quelques poils poussant dans le dos d’Aéris. Elle les laissa faire. Malgré les mots de la voyante qui semblait avoir compris.

Sejuani n’était pas la plus croyante des guerriers de Freljord, mais elle avait entendu les contes de l’agneau et du Loup, et elle savait que défier des divinités n’était pas une façon de survivre, une façon de devenir plus fort.

Sa machoire se serra. Déja elle se repassait tous les mythes connus dans un coin de sa tête. Elle n’était pas de ces conteurs reveurs qui tracaient des histoires sur les trainées d’étoiles, elle était une femme pragmatique Sejuani. Et si la femme pour la quelle elle avait … une once d’affection - elle refusait que ce soit davantage - était en train de se transformer en main vengeresse d’une déité de la mort, que pouvait elle faire ? Devait elle trouver Kindred et les défier à la fois Loup et Agneau pour qu’ils libèrent Aéris de cette malédiction ? Ou devait elle laisser faire.

« Le clan a gagné beaucoup avec ton retour. » Les paroles de Dunlaith apaiserent un feu qui commencait à prendre, et Sejuani laissa échapper un soupir soulagé. Elle le nierait bien sur.

Elle ne pourrait cependant pas nier grand chose plus longtemps, car Aéris était la, la fixant en attendant une réponse et Sejuani plus que jamais aurait voulu ne pas être la cheffe, aurait voulu continuer à vivre dans l’insouciance, ou du moins à réver qu’elle le puisse. Elle figea, quelques instants, et puis elle serra les dents. « Si la voyante affirme que tu n’es pas défaillante, je ne peux qu’approuver ses dires. » Dans le milieu de la tente Dunlaith secoua la tête avec un sourire leger, comme si elle savait quelque chose que Sejuani ignorait. C’était probablement le cas, Sejuani ne pretendait pas avoir le savoir unique, non, elle aussi n’était qu’un pantin de puissances plus grandes qu’elle.

«Le clan… » Elle ravala sa salive quelques instants, et se redressa, reprenant son attitude imposante. « Le clan est ravi de pouvoir te garder près de lui. » Et puis elle exhala un soupir, avant de se rapprocher de la jeune femme. « Et le clan est soulagé de ne pas avoir à t’executer. » Ce n’était plus le clan. Elles le savaient bien toutes deux. Et quelque chose lui disait que Dunlaith le savait aussi.

Ça faisait beaucoup à avaler néanmoins, et ses pieds bougerent d’elle même. « Vous devez avoir beaucoup à dire. Dunlaith, Aéris. Je compte sur vous pour me tenir informée de tout ce que vous savez. » Et sans rien ajouter, laissant sa peau de loup à Aéris si elle la désirait, elle sorti dans le froid, épaules nues. Elle avait besoin d’air. Besoin de solitude. Besoin de réflechir.

L’opinion de Sejuani n’aurait pas dû compter autant pour Aéris. Même si elle restait la cheffe de la Griffe, et qu’elle avait autorité sur la vie d’Aéris. La devineresse n’était pas prompte à chercher la validation de Sejuani, pas sur un plan personnel. Pas sur ce changement qui était en dehors de leur contrôle. Mais Aéris avait besoin de savoir.  Si elle ne pouvait pas contrôler ce tournant de sa vie, elle tenterait de comprendre tout le reste, compensation passagère et illusoire.  

Aéris aurait souri devant la stature droite et rigide de Sejuani qui s’adressait au nom du clan, alors que le clan n’avait probablement aucune idée – encore – de ce qui était dit ici. Oui, Aéris aurait souri, si la situation n’était pas si grave, si elle était capable de se relier à ce type d’émotion. Mais tout était flou et lointain pour elle.

Elle resterait en vie, un jour de plus. Pour elle, c’était la seule confirmation qu’elle entendait, au-delà du soulagement de Sejuani. Il n’y aurait pas de mains glacées autour du cou frêle et fragile d’Aéris, pour l’abattre pour une raison plus grande que leur existence simple.

Soudainement, Sejuani annonça son départ et la colère était partie, dissipée. Aéris cligna des yeux, incertaine. Et puis, aussi rapidement que la colère avait disparue, Aéris se leva à son tour du petit tabouret de bois, pour sortir de la tente. « Sejuani ! » Elle ne l’interpellait jamais de cette manière. Il y avait toujours une formule de politesse qui trainait, ou un titre imposant invoqué. Mais Aéris n’appelait pas le clan, n’appelait pas la leader. Elle appelait Sejuani, la femme sous l’armure, la personnalité sous la colère. « Je. » Les mots restèrent là, aussi solide que des glaçons qui congelaient sa langue. Elle fronça les sourcils, plissa le nez. Elle serra la mâchoire sur ces paroles solidifiées, trop lourdes que pour être partagées.

Le retrait se fit, visible, tangible. Cette hardiesse qui ne survivait jamais dans ce froid. Ce qu’elle voulait dire resta dans l’air, invisible, imprononcé. « Je prouverai que je peux rester utile au clan. » Il y avait quelque chose de salvateur, de rassurant, de rester dans leurs rôles. « Je ne serai pas sa faiblesse. » Je ne serai pas ta faiblesse.

Et Aéris, aussi rapidement que la colère était partie, s’inclina pour retourner à l’intérieur de la tente de Dunlaith.