Quelques jours s’étaient écoulés depuis l’excursion. De l’eau avait coulé sous les ponts et de son côté, Muramasa avait rejoint la pègre de Navori après cette quête, trempé et coupable de ce qui s’était passé. Il avait fait son rapport, sans oublier le moindre détail. Même le plus dérangeant pour lui. Ce qui se trame dans l’ombre dépasse ses compétences et seule, la pègre tout entière ne pourra pas combattre ce fléau. C’est la conclusion à laquelle il était arrivé. Ils devaient trouver des alliés, faire front commun et peut-être auraient-ils une chance de renvoyer cette brume d’où elle vient. « Ce n’est pas de la lâcheté, c’est du pragmatisme. On ne parle pas de taper sur des types bourrés, messieurs. » avait adressé Muramasa à quelques inconscients qui arrivaient encore à rire de ses malheurs. « Vous devriez aller méditer sur votre bêtise. Hors de ma vue. » Agacé par leur attitude, il leur avait rappelé plus ou moins gentiment que malgré sa magnanime attitude, il restait leur supérieur. Les deux voyous firent profil-bas et s’en allèrent de ses appartements.
Une fois disparus, il avait poussé un profond et puissant soupir. Ce n’était pas gagné et ça n’augurait rien de bon. Il était forcé d’admettre son inquiétude vis-à-vis de son absence. Dans quel état va-t-il retrouvé le camp, avec de tels énergumènes ?
Un besoin de prendre l’air se fit. Il avait passé sa journée dans ses bagages, à réfléchir quoi prendre pour finalement conclure par : rien. Il improvisera. Il n’aura qu’à prendre assez d’argent pour se sustenter et puis, il se débrouillera. Du temps perdus en somme. Il avait marché et avait quitté la zone habitée et animée de Navori pour s’enfoncer vers la forêt qui a été leur point de départ à tous. L’endroit était toujours aussi sinistre, mais moins depuis qu’ils avaient fait leur découverte. Comme si mettre un visage ou un nom sur quelque chose était rassurant.
Il n’avait fait que passer et s’était rendu vers le village le plus proche de Navori. Il avait rebroussé chemin et suivi la rivière vers l’Ouest pour remonter au Nord. Après quelques heures de marche, il était arrivé dans un espèce d’hameau. Le nombre de maison pouvait se compter sur les doigts des mains et des pieds, mais les infrastructures principales étaient visibles de loin. Notamment ce qui peut se rapprocher d’une auberge, dans laquelle il s’était engouffré. « Ravi de te revoir. Je te croyais parti. » - « Pas encore. Je ne suis pas pressé. » répond-t-il avec une aimable plaisanterie, alors que le tenancier l’accueille. Son regard se promène sur les personnes présentes et l’une d’entre elles, étrangement seul, retient son attention. Muramasa va à sa rencontre et s’assoit devant lui, sans demander permission. « C’est très étrange de te voir sans elle. Je ne croyais pas cela possible. » Le ton n’était pas très chaleureux. Ironique, venant de lui. Ce n’était pas parce qu’il le voulait, mais parce qu’il se doute qu’il n’est pas étranger à son absence.
« Comment va-t-elle ? Et toi, comment vas-tu ? » Mal sans doute, mais le demi-démon pose la question avant tout par politesse.
J’avais fait tout mon possible pour la sauver. Ses blessures, les brûlures qui recouvraient son corps et ses plumes, je les aurais prises sur moi jusqu’à la plus petite égratignure, j’aurais donné… n’importe quoi pour qu’elle se réveille. Ma douce rebelle, ma tendre Xayah. Cette incursion n’avait pas été de tout repos, il nous avait fallu affronter des choses horribles, cette.. cette brume corruptrice qui détruisait tout ce qu’elle touchait, qui avait tant fait souffrir Ionia et ses habitants. La magie de notre si belle contrée se trouvait en danger, affaiblie, avilit par la brume dont nous ignorons aujourd’hui encore tout de son origine. Et tout ce que nous avions pu trouver pour approfondir cette enquête, c'était une statuette à l’énergie malsaine. Personne, pas de responsable sur qui faire peser la responsabilité de tous les dégâts qui avait été causé. Personne à identifier clairement et à arrêter pour restaurer la magie de Ionia. Personne à qui je pouvais profondément en vouloir pour ce qu’avait subi ma bien aimée…
Personne à part moi.
Si seulement je l’avais empêché de plonger ! Non… ouvre les yeux Rakan, tu n’aurais jamais pu l’empêcher de le faire, même si tu l’avais supplié à genoux. Si seulement j’avais été avec elle ! Eh quoi ?! Tu ne lui aurait pas été plus utile, jusqu’à preuve du contraire tu ne possède toujours pas de branchie et ta magie est affaiblie sous l’eau. Si seulement j’avais pu la soigner… Oui, j’aurais peut-être pu, mais mes pouvoirs étaient drainés par la présence si proche de la source même de la brume corruptrice et j’avais également dû en utiliser une bonne partie pour venir en aide aux autres. Est-ce que je regrettais ? Non, je ne crois pas. Est-ce que je m’en voulais quand même ? Oui. Définitivement.
On aurait pas pu faire grand chose de plus que la transporter dans un lieu sûr et faire appel à des soigneurs pour traiter ses blessures qui, à mon sens, devraient probablement être plus profondes que ce qu’elles en avaient l’air de l'extérieur. A mon avis, seul un autre Vastaya sera capable de la remettre sur pied. Pas que je n’ai pas confiance dans les compétences des humains, mais leur magie est bien différente de la nôtre, et un Vastaya aura probablement plus de facilité à situer le problème.
En attendant, je restais à son chevet autant que possible. Je lui prenais la main et je lui transférais chaque jour un peu de ma force vitale, pour qu’elle sente ma présence à ses côtés, pour la soutenir dans cette épreuve et pour lui permettre de tenir le coup un peu plus longtemps. Je ne voulais pas dormir, je ne voulais pas manger, je ne voulais pas la laisser seule, mais je ne pouvais pas non plus me laisser dépérir car si je voulais pouvoir continuer à l’aider, je devais moi-même rester en vie. Oui je devais rester en vie pour pouvoir lui en offrir jusqu’à la plus infime seconde.
Alors j'avais dû trouver un endroit où me reposer et manger. Une petite auberge du coin ou je ne dormais finalement pratiquement jamais puisque la plupart du temps je finissais par m’assoupir au chevet de ma douce Xayah. Assis à une table, la joue enfoncée dans le creux de ma main, je touillais avec un désintérêt flagrant ma cuillère dans un bol de potage à la viande et aux légumes. J’avais probablement perdu de ma superbe, mes plumes étaient plus terne, je passais moins de temps à les lisser où à soigner la flamboyance de leur magnifique couleur dorée et mon teint livide laissait apparaître de lourdes cernes sous mes yeux. Heureusement qu’il n’y avait pas de miroir ici, sinon je me serais probablement étouffé d’horreur devant ma mine terrible.
Malgré ça, j'étirais un sourire de façade en reconnaissant la voix qui s’adressa à moi.
« Muramasa ! Ça fait plaisir de te revoir. »
Est-ce que je lui en voulais pour ce qui s’était passé au delta ? Non. Pas vraiment. Pas complètement. Pas trop.
« Elle est encore très faible. Elle ne peut même pas manger ou boire. »
Malgré moi, mes yeux s’étaient baissés sur la table en bois et sur mon potage mais je relevais rapidement la tête vers le demi démon pour lui sourire plus franchement en faisant de petit geste avec les mains pour ponctuer mes phrases.
« Oh moi ça va ! » Lançais-je en bombant le torse. « Même avec le peu de magie qu’il me reste je suis toujours aussi resplendissant ! Même si ma cape mériterait probablement un bon coup de brossage, mais bon elle ramasse toute la poussière du plancher aussi alors ça aide pas ! »
Je faisais le fier, mais j’imagine qu’il ne fallait pas beaucoup de perspicacité pour voir à travers mon jeu. Mais c’est plus fort que moi, je ne peux me permettre d’avoir l’air mal en point devant les autres.
« Et toi ? Comment tu vas ? Tu n'es pas encore rentré chez toi ? Et c’est où chez toi d’ailleurs ? »
L’accueil chaleureux de Rakan, bien qu’il ait le mérite de faire sourire Muramasa, ne trompe pas le guerrier. Ses plumes ne sont plus aussi reluisantes et étincelantes qu’elles l’étaient lors de leur première rencontre, mais il peut comprendre qu’un homme veuille garder la face malgré l’adversité. Alors il ne commente en rien cette façade mensongère et se contente d’opiner du chef. « J’espère que vous retrouverez tous les deux l’appétits et la forme, en tout cas. » Aucun commentaire, mais d’une manière plutôt habile, le demi-démon cherche à faire comprendre qu’il faudra plus que des belles paroles pour lui faire croire que Rakan est au mieux de sa forme. Le potage ne vaut pas les restaurants les plus prestigieux de Piltover, mais il ne mérite pas d’être bouder ainsi.
« Moi ? » répète-t-il en dissimulant un manque d’inspiration à peine voilé. « Disons que je relativise et c’est ce qui m’aide à aller bien. Je suis désolé pour Xayah. Sincèrement. Ce n’était pas mon intention. Je me suis laissé emporter. Mais je me dis que fort heureusement, je ne l’ai pas tué. Ce qui n’a pas été le cas de tout le monde par le passé. » Cette réponse est ; pertubante. Il prononce ses mots avec le plus grand des calmes, comme si tout ceci était loin derrière lui maintenant.
« Si-si, je suis rentré. J’y suis passé, mais je compte repartir et prendre le large vers Bilgewater, même si je ne suis pas certains d’avoir envie de laisser la pègre de Navori derrière moi, quand je sais qu’ils ne s’inquiètent pas plus que ça. » Il soupire, toujours un peu agacé par la précédente attitude de ses hommes, mais moins. La distance a aidé pour que la sympathie commence à grapiller les draps et qu’il assouplit son jugement à leur encontre. Sans parce quelque part, il leur envie cette insouciance. La fougue de la jeunesse. Probablement.
« Je vis avec eux. Avec Sett, nous avons repris il y a quelques années l’arène noxienne au sud-est et nous en avons fait une habitation. Ironiquement, ce qui était ma cage est devenue ma maison, mais même si je l’apprécie, je préfère tout de même être dehors. Tu devrais voir avec Sett d’ailleurs, pour Xayah. Peut-être qu’il pourra t’apporter de l’aide. Ou plutôt, sa mère. Lui, il ne sait que donner des coups. » Une invitation à peine voilée, alors qu’il a été servi. Il ne mange rien, mais parce qu’il a déjà mangé à vrai dire. Muramasa a préféré accompagner Rakan dans son repas avec une boisson alcoolisé. « Qu’est-ce que tu comptes faire ? » lance-t-il par curiosité. Ses yeux orangés, flamboyants, dévisagent le vastaya avec des sous-entendus ou plutôt, une profonde envie de lui dire d’arrêter de faire semblant. Quand bien même trouve-t-il cela admirable.
Je ne fais pas vraiment illusion hein ? Je peux voir que Muramasa ne gobe pas complètement mes belles paroles, mais ce n’est pas grave, je préfère continuer à faire semblant que de me laisser aller, sinon, je ne serai plus Rakan, le plus beau et le plus formidable des danseurs guerriers Vastayas de tous les temps. J’étire un petit sourire au coin de mes lèvres et hoche doucement la tête.
« Merci. C’est sympa de ta part de t’inquiéter pour elle… pour nous. »
Peu d’humain se soucis des Vastaya et bien que je continue de défendre bec et ongle qu’une entente est possible entre nos deux peuples, beaucoups continuent de me prendre pour un idiot. Mais si personne n’accepte de faire le premier pas, les guerres continueront, et la magie finira par disparaître et à ce moment-là, on ne pourra plus rien faire. Les humains pourraient gagner c’est vrai, mais le monde ne tardera pas à leur faire payer leur arrogance car même si elle est différente de la nôtre, eux aussi ils possèdent un peu de magie.
Et Muramasa lui ? Il était encore différent, une autre forme de pouvoir vivait en lui. Quelque chose de puissant, d’explosif en fait ! Quelque chose de brûlant qui semblait à la fois vivre en harmonie et en compétition avec lui. Ca n’avait pas été difficile à comprendre il me suffisait de repenser à notre mission. Il avait fallu que je l’aide à se calmer la première fois. Et puis ensuite… je n’avais pas envie de m’en souvenir. Cela dit, c'est Muramasa lui-même qui me rappela ce douloureux évènement. Je pinçais les lèvres l’air de réfléchir à ce que j’avais envie de lui dire. Je me doutais bien qu’il n'avait jamais voulu blesser Xayah, ça n'avait pas l’air d’être son genre de poignarder ses collègues dans le dos. Finalement je baisse les yeux et m'efforce de conserver mon sourire.
« Je sais que tu ne lui voulais pas de mal. Je ne t’en veux pas et… et je suis sûr qu’elle ne t’en voudra pas non plus. »
Puis je relevais mon regard dans sa direction, plantant mes yeux bleus dans les siens, rouge orangé, comme le feu.
« Muramasa, est-ce que ça t’arrive souvent de… perdre le contrôle ? »
Lorsqu’il m’explique qu’il compte quitter Ionia pour se rendre dans une nouvelle contrée, je ne peux m’empêcher de pencher la tête sur le côté et de jouer les curieux.
« Bilgewater ? Etaler les requins dans le delta, ça t'as donné envie d’aller combattre des monstres marins ? » Plaisantais-je dans un petit rire. « Qu’est-ce que tu dois faire là bas ? »
Je hoche doucement la tête lorsqu’il m’explique qu’il vit avec la pègre de Navori et plus particulièrement un dénommé Sett. Je crois que j’ai déjà entendu parler de lui. Un demi Vastaya qui gère une arène de combat et réputé pour avoir le sang sacrément chaud. Beaucoup de Vastaya considèrent les sang mêlés comme des… des abominations. Moi je me fiche pas mal de qui fornique avec qui du moment que tout le monde est heureux et consentant. Ce qui devient soudainement bien plus intéressant en revanche, c’est le passage ou il m’invite à retrouver le fameux sang mêlé pour lui demander de l’aide pour Xayah.
« Oh ! Donc c’est sa mère qui serait une Vastaya ? C’est une soigneuse ? »
Je ne sais pas si Xaya apprécierait que je demande de l’aide à ce Sett pour lui venir en aide mais je ne peux pas rester sans rien faire alors que sa magie diminue à vue d'oeil. Que faire… Je me le demande en effet. Je baisse à nouveau la tête et serre mes mains l’une contre l’autre.
« Je ne sais pas… Je suis convaincu que seul un Vastaya pourra réellement aider Xayah à se remettre de ses blessures. »
Rah, c’est tellement frustrant ! J’ai enfin une piste pour permettre à Xayah de guérir, mais si je quitte son chevet, elle pourrait ne pas avoir l’énergie suffisante pour tenir jusqu’à mon retour. Peu à peu, mon masque de confiance s'effrite et je me prends la tête dans les mains.
« Je sens sa magie qui s'effiloche comme si… comme si quelque chose était… percé. Je lui transmet de mon énergie régulièrement pour l’aider à tenir le coup, sans moi, qui sait combien de temps elle tiendra dans cet état ! »
Ne pas lui en vouloir ? Un sourire se trace au coins de ses lèvres. Un sourire timide et triste. Il en serait très heureux si c’est le cas, mais une part de lui s’accorde à dire que s’ils ne lui en voudront pas, il saura se montrer rancunier envers lui-même pour deux. « Si tu le dis. » souffle-t-il, pensif. Elle voulait dire à la fois tout et rien, cette simple phrase. Il s’allume une cigarette, sentant le manque pointer le bout de son nez. Il n’en avait pas touché une seule depuis plus d’une heure, c’était un exploit ! La présence de ce poison devait probablement l’aider à affronter le regard de Rakan, qui posait une question ; intéressante. Muramasa prend un temps pour réfléchir et peser ses mots. « Eh bien, c’est … Compliqué à expliquer ou à jauger. Ce qui s’est passé était un cas exceptionnel en termes de puissance, mais pas rare. Je suis devenu, par la force des choses, l’avatar du démon de la colère. Donc dès que je sors de mes gongs, ça arrive. Ça peut même être bien pire. D’autant que j’ai un peu de mal depuis je n’ai plus d’entraves enchantée pour canaliser ce pouvoir. Elles me permettaient de tricher sur le contrôle. »
Le demi-démon hésite, cherche ses mots en cours de route et peine à trouver une réponse. Il ne maîtrise pas le sujet, cela se sent. Sans doute parce que personne ne lui avait posé de questions avant. Pourquoi faire ? Le spectacle était garanti, tout comme l’or sur les paris. D’où le ton évasif, l’expression éteinte ou plutôt, mise en veille le temps de trouver une explication à peu près juste.
Elle se remet en route, cette expression et cette fois-ci, Muramasa ne retient pas un ricanement face à la plaisanterie de Rakan. « Il faut croire, même si les monstres marins auraient été plus amusants que celle dont je m’apprête à faire connaissance. » Les rumeurs vont bon train et lorsqu’on fait couler le sang pour obtenir ce que l’on veut, on ne peut pas dire que la réputation soit belle. « J’aimerais rencontrer la régente de Bilgewater. Hormis être une ville remplie de personnes douteuses, ils restent des marins et si cette brume a su traverser les mers, il va nous falloir des spécialistes de la navigation pour la renvoyer d’où elle vient. On n’arrivera à rien si on reste chacun dans notre coin et même si ça ne m’enchante pas, je veux montrer que la pègre de Navori est prête à donner du sien pour arrêter cette chose par-delà les mers. »
Cela ne l’enchante pas, puisque comme il l’a dit un peu plus tôt, il était devenu une sorte d’avatar de la colère et il avait peu de contrôle. C’était donc comme si on envoyait une bombe à retardement en guise de cadeau de paix. D’où quelques signes de nervosité, derrière cette façade calme et détendue, comme ce tapotement rythmé sur la table ou ce changement de bord pour sa cigarette.
« J’ignore si elle est une soigneuse. Je sais qu’elle tient un orphelinat et qu’elle est capable de soigner Sett. Du reste, je sais surtout que c’est une personne bienveillante, douce et je plussoie ce que tu me dis. Vous êtes uniques, vous autres. Il n’y a qu’une Vastaya pour comprendre un autre Vastaya. » Il reste néanmoins un obstacle et pas des moindres : son patron. Tantôt absent, tantôt têtu, Sett brille par son entêtement et Muramasa appréhende d’emmener Rakan devant ce dernier. Quoi que ; il serait intéressant de voir le barbare affronté le plus grand danseur guerrier. Le spectacle serait au rendez-vous. « « Depuis quand as-tu cette sensation ? » La question peut paraître étrange, mais elle laisse surtout transparaître la suspicion de Muramasa quant à une hypothétique blessure du côté du vastaya. Il s’est passé tellement de choses étranges ces derniers jours que tout est sujet à la méfiance.
Tandis que Muramasa m’explique autant que faire se peut les détails de sa condition, je hoche doucement la tête histoire de lui montrer que je comprends ce qu’il me raconte. En fait, il n’a lui-même pas l’air d’être très sûr de lui, ou plutôt c’est comme s'il ne savait pas vraiment comment tourner ses phrases. J’imagine que ça doit être quelque chose qui se ressent davantage et qui par conséquent est difficile à expliquer pour quelqu’un qui ne vit pas une situation similaire. D’autant plus qu’il semblait disposer d’une sorte de carcan qui limitait son pouvoir, limite qui a justement disparu.
- Pourquoi t’en être débarrassé dans ce cas ?
Ce n’est peut être pas plus mal en fin de compte, le fait de ne plus avoir d’entrave pour bloquer son pouvoir démoniaque l’oblige à prendre conscience de sa force destructrice. Aucune magie ne devrait être enchainé, aussi aléatoire et dévastatrice soit-elle… sauf peut être pour les force du néant, c’est des petites saloperies ces choses et elles cherchent à détruire tout ce qu’il y a de beau sur cette terre… ou la magie du sang corrompu des Darkins, eux aussi ils cherchent à anéantir ce monde à leur façon. Bon finalement peut être bien qu’il y a des magie plus dangereuses que d'autres mais celle de Muramasa ne me semble pas en faire partie. Après tout, elle nous a été utile plusieurs fois pendant notre mission.
Lorsque je lui demande ensuite pourquoi il cherche à se rendre sur les îles aux serpents, je suis ravi de l’entendre ricaner à mes bons mots, c’est agréable de le voir s’animer d’émotions lui qui me semble si… éteint de façon générale. Enfin sauf quand il s’enflamme bien entendu. je continue de hocher la tête mais cette fois, c’est plus par politesse parce que je ne connais rien à Bilgewater, ses habitants ou ses dirigeants. Mais il faut reconnaître que Muramasa a raison sur ce point : On arrivera a rien contre cette brume maudite si nous restons chacun de notre côté. C’est ce genre de mentalité qui me font redonner confiance dans les humains, des gens qui se soucient du bien commun, des gens qui savent que pour grandir, il faut parfois savoir mettre sa fierté et son conservatisme de côté.
- Tu as raison ! C’est probablement une bonne idée. Xayah et moi on t'aurait bien accompagné mais j’ai peur que ça soit impossible…
Je suis sûr que Xayah aurait aimé découvrir Bilgewater. Moi aussi d’ailleurs ! Savoir qu’elle se trouve entre la vie et la mort me fait serrer le poing de rage, mais heureusement le jeune demi démon à une piste à me proposer pour essayer de lui venir en aide. Si cette femme est une Vastaya, peut être qu’elle pourra l’aider. Ce type, ce Sett, il est à moitié Kiilash si je me souviens bien. Je n’ai pas souvenir d’en avoir rencontré beaucoup et la plupart était des guerriers avant d’être des soigneurs, mais si Muramasa me dit qu’il s’agit d’une personne douce et bienveillante, je n’ai peut-être pas vraiment d’autre choix que de m’en remettre à elle.
Je baisse la tête, l’air de réfléchir. Puis répond à la question de Muramasa sans vraiment le regarder.
- Depuis qu’elle est ressortie du Delta… j’ai fais ce que j’ai pu pour refermer ses plaies, mais ça ne suffit jamais. C’est quelque chose de plus profond, en elle, à l'intérieur.
Je serre les dents avec amertume avant de relever la tête pour plonger mon regard dans celui du demi démon.
- Muramasa, ce Sett, est-ce que tu pourrais me conduire à lui ?! Ou… ou simplement me dire où le trouver, je ne voudrais pas te retarder.
La question de Rakan lui fait étirer un sourire tristement amusé. Elle est tout à fait légitime, lorsque tout le contexte n’est pas explicitement expliqué. « C’est une très bonne question. » Lui-même se la pose de temps-en-temps, lorsqu’il est seul ou dépasser par une situation. Qu’est-ce qui l’a motivé à sortir de son trou ? Il se souvient avoir imploré qu’on l’achève, avoir perdu la face devant Asotz, puis d’avoir attendu que le vastaya chauve-souris revienne. Il hausse un sourcil, car avec du recul il se dit qu’il n’y avait pas grand-chose qui aurait pu le motiver à s’en débarrasser et sortir. « Je suppose que j’ai eu un éclat de génie ou un caprice, parce que je ne voulais pas finir mes jours attachés dans une cellule, dans les tréfonds d’une arène noxienne. » Ses épaules sont relâchées, la fumée de sa cigarette s’échappe de ses lèvres à la fin de la phrase et il annonce ceci dans le plus grand des calmes. Le passé appartient au passé. C’est du moins ce qu’il s’efforce de se dire pour oublier ce temps où il n’était qu’une bête de foire sortie de sa cage que pour divertir l’envahisseur.
« Après je ne te cache pas que je me sens mieux, maintenant que je ne les ai plus. Ma magie n’est pas étriquée et je peux la libérer quand moi, j’en ai envie. Pas au bon vouloir de quelqu’un d’autre. Eh puis, ce serait mentir en te disant que, quand je laisse cette colère exploser, je n’éprouve pas un certain plaisir à la libérer. C’est le même genre de plaisir lorsque toi, tu te mets à danser, par exemple. Je me libère. » C’est plus destructeur qu’un tango. C’est un inconvénient auquel il n’a pas encore trouvé de solution. « Je ne prend pas plaisir à bruler vif mes alliés en revanche, si ça peut te rassurer. »
De l’honnêteté, soupoudrée d’une veine tentative d’humour. À en crois son bref sourire. « Je comprends, ne t’inquiète pas. Je tâcherais de ne pas faire bruler Bilgewater d’ici à ce que vous y mettiez un pied. Même une présence plus enjouée et une autre plus sage m’auraient rassuré. » Tout dépendra du temps qu’il prendra là-bas, car il n’est pas à l’abri que convaincre un tel personnage se fasse en quelques heures. Il s’attend à une mise à l’épreuve, à devoir acquérir la confiance et peut-être même à devoir se salir les mains pour s’imprégner des “traditions locales”.
Alors que la conversation va bon train, il redemande un verre. La soif était plus présente que l’appétit, visiblement. Il n’était pas le plus empathique des hommes et à côté de Rakan, il est probablement très loin derrière à ce sujet, mais il fallait être aveugle pour ne pas voir à quel point le vastaya était rongé par l’inquiétude. Une part de lui-même doutait, car il ignorait si la mère de Sett pouvait réellement faire quelque chose pour Xayah et il se demandait s’il ne lui jetait pas de faux espoirs à la figure. Néanmoins, ses doutes étaient très vite balayés par ses souvenirs. Il a suffisamment côtoyé de vastaya dans sa vie pour savoir que ceux-ci étaient bourrés de talent insoupçonné. Que cela en soin, au combat ou ; autrement plus intime. « Est-ce que cette eau maudite ne l’aurait pas contaminé d’une quelconque façon ou aggraver ses plaies ? Peut-être est-ce quelque chose proche de l’empoisonnement ou une sorte de drainage. Ce qui expliquerait pourquoi tu as l’air aussi fatigué. »
Il était loin d’être bête au sujet de la magie et il savait que lorsqu’elle était guidée par des desseins plus noirs, elle pouvait être destructrice. Cette même magie l’a altéré, après tout. « Il faut que je retourne au côté de la pègre de Navori dans tous les cas avant mon départ, j’ai des affaires à récupérer, alors oui je pourrais te guider face à lui. Je pourrais même l’obliger à t’écouter et te dégager la voie vers lui. Je suis son second lieutenant, après tout et vu son caractère, il faut parfois bien forcer pour être entendu. » Soudainement, une chape de fatigue vient gâcher sa voie, mais ce n’est pas la même que lorsqu’il a évoqué ses souvenirs précédemment. Celle-ci, elle est fausse et beaucoup moins sérieuse. Elle casse même ce visage de marbre en affichant une grimace lassée. Sett le fatigue, mais il tient suffisamment à cet espèce d’empoté têtu pour lui pardonner tout. Même d’utiliser des traditions noxiennes pour se faire respecter.
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