[FB] People like you are rare | ft. Asotz

Profondément agacé, Muramasa ne disait plus rien. Il laissait Takimichi dans ses films, car c’est ce qu’ils sont. Rien de plus. Cela dit, malgré tous ses efforts pour paraître le plus calme possible, il ne pouvait pas totalement refouler cet air bougon sur son visage, alors qu’il était visiblement le seuil dérangé et a le manifesté. Heureusement qu’il s’était couché et qu’il faisait dorénavant dos au Vastaya pour masquer cette contrariété visible. Puis finalement résigné, se berçant à l’idée que cela faisait plaisir à la vieille domestique, il pensait avoir la paix et trouver le sommeil. Jusqu’à ce que Asotz, volontairement ou non, remette de l’huile sur le feu avec sa question. « J’aurais préféré à la rigueur… » souffle-t-il entre ses dents, car c’était encore plus humiliant que ça.

La position était peut-être favorable à la confession cela dit. Ou peut-être est-ce des souvenirs d’enfances qui ravivent un vestige d’insouciance et qui l’aide à prendre tout ceci à la plaisanterie. Même si ce n’était pas drôle du tout pour son honneur. « C’est le diminutif de mon prénom d’enfance. Si je m’étais présenté avec mon nom complet, tu aurais trouvé ça beaucoup trop long. Le plus important reste Muramasa de toute manière. »
Au fur et à mesure de sa réponse, il réalise cela dit que Ryû, aussi diminué soit-il, est quand même un surnom du coup. « Au bout du compte oui, on peut appeler ça un surnom… » souffle-t-il, alors qu’il s’est recroquevillé.

Le plus drôle dans tout ça, c’est qu’il faisait comme si tout ceci était parfaitement normal. Il n’en était rien, puisqu’en vérité il était crispé de partout et c’était tout bonnement impossible de s’endormir dans de telle condition.

« Pourquoi cette “condition” à ce propos ? » Sa tête bascule légèrement pour laisser passer son regard par-dessus son épaule et le laisser se poser sur son convive. Pourquoi ? Pourquoi s’embêter avec un nom complet que tout le monde oubliera dans quelques années ? « Tu ne comptes pas t’y mettre également, par pitié. Je vais vraiment finir par mordre à chaque mention de ce diminutif. » Serait-ce une menace ? Probablement. Potentiellement. Est-ce qu’il en serait capable ? Oui. Compte tenu de sa journée et de son taux d’agacement actuel, il y a fort à parier que le passage à l’acte soit plus rapide et direct qu’on ne le pense.

Toujours la tête basculée sur le côté, pour continuer d’avoir Asotz dans son champ de vision tout en lui faisant dos, Muramasa bougonne un peu plus face à la simplicité de la réponse. Juste de la curiosité ? Vraiment ? Il avait du mal à y croire. « Comme je veux ? Ce n’est pas nous qui choisissons. Ce sont nos parents qui nous nomment à notre naissance. Sans quoi, j’aurais déjà glissé mon mot sur la question. » “Muramasa” n’était pas franchement mieux. Ce prénom transportait dans ses syllabes une sombre et sordide histoire. Une pointe d’agacement supplémentaire s’ajoute à la remarque sur ses dents et le noiraud finit par se retourner pour faire face au Vastaya.

Il n’y avait aucun mot. Aucune réponse concernant sa gêne ou autre. Pourtant son regard brulait d’une colère indescriptible. À la fois revancharde et malicieuse, mais assurément ; elle répondrait à la provocation ouverte de l’homme-chauve-sourie. Il y avait également un air un brin sournois, peut-être un peu idiot, une impulsion de bêtise et beaucoup de passion. L’imprévisibilité du feu, à l’état brute, à peine somnolant, le poussa à se jeter d’un coup sur son voisin. La carrure de l’humain était bien frêle à côté du Vastaya, mais ce n’est pas ce qui allait le décourager et ses bras, posé sur le futon de chaque côté de son convive, l’aidait à l’encercler avec son corps.
« Tu l’auras voulu. » souffle-t-il, presque au creux de son oreille, alors que ses dents “plates”, inoffensives en comparaison à la dentition d’Asotz, vinrent se planter dans la chaire du Vastaya. C’était déroutant, inédit et c’est comme si l’humain était subitement possédé d’une force nouvelle.

Cela étant, son acte “agressif” n’était en rien douloureux. Moins que la plaie sur son torse en tout cas. C’est à peine s’il mordillait et pour celui qui se faisait surnommer “dragon”, cela ressemblait plutôt à une morsure de “chaton”. C’était volontaire, car même avec tout l’agacement du monde, Muramasa ne voulait pas blesser celui qui lui avait sauvé la vie. Même pour le jeu. Même pour plaisanter.

Sa prise dure quelques secondes à peine, avant que finalement un gloussement s’échappe de sa gorge et qu’il lâche. Il souffle un sourire, puis reprend : « Pas temps que ça en vrai. C’est juste que… Je ne suis plus un enfant. J’en étais extrêmement fier et mon père aimait m’appeler aussi ainsi. J’aime beaucoup les dragons, je voulais même en devenir un. Mais quand on n’a pas d’ailes, ni de griffes, ni d’écailles ; porter un nom pareil rappelle amèrement qu’on n’aura que le nom “dragon”. Rien d’autres. “Muramasa”, c’est bien mieux. C’est un peu plus… mâture et censé. » Il y a un sourire triste, sans doute car une part de ce rêve d’enfant, ce désir d’être aussi beau et respectable que l’une de ses créatures, persistait au fond de sa conscience.

« Alors chut. Sinon je recommence. » Quelle menace incroyable ! Du bluff, un brin d’humour aussi, alors que Muramasa libère son “prisonnier” de sa présence et se rallonge à côté de lui, n’ayant pas peur de lui faire face. Lui et sa dentition pointue de toute part, contrairement à la sienne.

Bien entendu qu’il avait osé ! Ce n’était pas sage, de la part d’une créature pluricentenaire, de sous-estimer son vis-à-vis. Surtout lorsque celui a un coup dans le nez et est promis à devenir l’avatar du démon de la colère. Un sourire faible se fait et à demi-mot, il avoue : « C’est vrai, je n’y ai jamais pensé. Je n’ai pas d’idée en revanche et puis, je suis attaché à mes racines malgré tout. Changer de nom reviendrait à les renier. »  Une identité est puissante. C’est ce qui démarque de la masse et introduit l’histoire du personnage. Si Muramasa doit changer un jour, il vaut que cela vaille la peine. Que ça ne soit pas le fruit d’un coup de tête sans fond, mais bel est bien une manière d’entamer une nouvelle histoire et de changer du tout au tout. A-t-il vraiment envie de changer maintenant ? Non.

« Ça t’apprendra à m’infantiliser, non mais ! » À nouveau, le sujet est remis sur le tapis, mais sans trace de colère ou de reproche. Il s’agit plutôt d’une aimable plaisanterie et aussi, une façon de dire qu’il ferait mieux de faire attention avec son humain. Après tout, Muramasa a démontré plusieurs fois aujourd’hui qu’il était impulsif et parfois déraisonnable, mais capable de bien des choses. Il sait s’imposer et imposer ses idées, parfois avec passion, mais surtout beaucoup de bienveillance envers autrui. Qu’il soit humain ou vastaya.

Asotz n’avait eu aucune réponse par la suite.

Avant même qu’il ne fasse son commentaire, il pouvait voir de ses propres yeux que face à lui, Muramasa avait fermé les siens et qu’il s’était enfin endormi. Sans doute s’est-il laissé bercer par ses souvenirs, ses rêves de dragons et ses souhaits. Des souhaits que le monde des rêves uniquement peut lui offrir, sans contrepartie.
Il s’était senti suffisamment en sécurité pour accepter de s’assoupir et ce que l’on pouvait remarquer, c’est que dès l’instant où Muramasa s’était endormi, l’aura intrépide et téméraire s’était éteinte. Elle avait changé pour quelque chose de plus enfantin. Ironique, lorsqu’on prend la peine de lire ce qu’il avait dit un peu plus tôt. De bien plus calme, apaisé et reposante. L’un comme pour l’autre.