Alors salut tout le monde je déserte!

Senos, allongée dans un hamac, regardait les berges de la rivière Renek défiler lentement, au son des rames qui plongeaient dans l’eau pour propulser la galère. D’ordinaire elle n’aurait pas pu se prélasser ainsi sur le pont, encore moins avec une paire d’esclaves, le premier l’éventait en s’assurant qu’elle reste à l’ombre tandis que le second tenait un bol de fruit à sa portée ; elle attrapa paresseusement une pêche avant de mordre dedans et de la reposer sur la pile fruitière. Elle gênait l’équipage qui devait faire le tour pour obéir aux ordres de leur capitaine, un capitaine qui ne tolérait la présence que grâce à son tatouage et ses bijoux représentant le disque solaire, l’identifiant pour ceux qui suivaient ce qui se passait dans la capitale, comme l’une des envoyées d’Azir et pas n’importe laquelle en plus de ça. Une rumeur disait qu’il s’agissait de ceux qui seraient choisit pour entreprendre le rituel d’ascension une fois ses secrets retrouvés bien que l’empereur n’ait jamais rien dit à ce sujet.

Xessun, le maître du bâtiment, détourna finalement le regard de sa passagère pour admirer à son tour les berges, il y vit un crocodile fureter entre les roseaux et se fit la remarque que le moment était peut-être mal choisi pour se rafraîchir. De toute façon il devait bien y avoir, quelque part, un endroit où se délasser une fois arriver à Neresthuth. La ville était d’ailleurs en vue.

« Son excellence voudrait savoir quand nous arriverons. » Le capitaine sursauta, sortit de ses réflexions par un esclave portant un bol de fruits.
« Dans une heure, peut-être deux. » Après un hochement de tête l’homme s’en alla aussi silencieusement qu’il était venu. « Zigantus donne-moi la force de ne pas la jeter à l’eau. »

Une fois son soupir poussé il lança un regard désapprobateur à Senos qui mordit une seconde fois à pleine dents dans la pêche qu’elle avait entamé. Elle l’eut à peine fini lorsque la galère entra dans le port fluvial et s’y amarra à l’un des quais. Mis à part quelques petites embarcations, certaines même pas assez grande pour avoir un petit mât, et toutes étaient visiblement faites pour la pêche, il n’y avait pas d’autres bateaux, celle de Xessun étant, et de loin, le plus gros. C’était d’ailleurs la raison de la venue de l’envoyée d’Azir. Bon elle ne s’occupait pas d’affaires si banales toutefois ça faisait plusieurs semaines qu’aucune nouvelle de la ville n’était parvenu à Shurima alors Azir l’avait mandaté pour savoir de quoi il retournait et notamment pourquoi le commerce, une chose essentielle, vitale, dans un empire renaissant, s’était arrêté.

Elle descendit du hamac une fois que le second esclave se mit à quatre pattes pour lui servir de marchepied. Et puis une flèche sifflante passa à côté de sa tête pour se planter dans le mât principal de la galère. Elle se doutait que, quelque part, dans l’une des bibliothèques ensevelies de Shurima, devait se trouver un manuscrit expliquant qu’un tel accueil jetait un froid et n’encourageait pas à la diplomatie. Le problème étant que ce ne fut pas la seule, la laissant supposer qu’elle n’était pas vraiment la bienvenue. Sur les quais une quinzaine d’hommes armés attendaient sur les quais, ils s’approchaient de la planche qui permettait de débarquer, l’un des marins étant tenu en respect sur le côté par une lame dont la pointe piquait sa gorge.

« Arrêtez nous sommes des marchands, nous ne sommes pas armés ! » Senos regarda les locaux réagir à la remarque du capitaine de façon bien différente de celle à laquelle il s’était attendu.
« Prenez le bateau et tout ce qu’il y a dessus ! » Cria celui qui semblait être leur chef, un grand chauve musclé torse-nu avec une peau de panthère sur les épaules, pointant une lance dans la direction de la cible.

Ne pouvant compter sur l’aide des marins, Senos prit une grande inspiration avant de tourner les talons et de se diriger vers l’autre côté de la galère. Des crocodiles se mirent à nager en direction du navire, attiré par les cris. Elle déglutit.

« Renekton je t’en supplies retiens-les. » Pria-t-elle avant d’avoir une idée.

Elle attrapa l’un de ses esclaves et le lança à l’eau. La pauvre âme se mit à patauger, braillant, frappant l’eau comme un baccai déchainé. Elle remercia Naganeka que son servant ne sache pas nager et plongea, restant sous l’eau le plus longtemps possible pour que les prédateurs s’en prennent davantage à son serviteur qu’à elle. Une fois sur la berge elle ressortit le plus rapidement possible de la rivière. Elle aperçu un autre animal qui prenait le soleil ouvrir un œil et s’approcher mollement vers l’envoyée d’Azir. Cette dernière, alourdie par ses vêtements trempés, fatiguée par la nage, sut qu’elle ne pourrait échapper au sprint du crocodile. Levant une main impérieuse le sable s’anima pour former une silhouette guerrière, elle lui ordonna de s’attaquer au crocodile pendant qu’elle s’éloignait, plus lentement cette fois pour éviter d’attirer l’attention d’éventuels autres prédateurs qui n’attendaient qu’une chose : que leur repas ne se présente de lui-même devant leurs gueules béantes.

Le combat qu’elle laissait se dérouler était perdu d’avance mais en même temps ce n’était pas son but de le gagner. La mâchoire de l’animal mordit fortement dans la jambe et il se mit soudainement à rouler sur lui-même, arrachant d’un coup sec ladite jambe qui retrouva sa nature sableuse et se désagrégea à moitié dans la gueule du monstre et à moitié sur la berge humide. Le soldat en lui-même ne resta pas bien longtemps, disparaissait petit-à-petit à son tour mais il avait réussi à faire gagner à Sonos suffisamment de temps pour qu’elle s’éloigne du danger immédiat.

Une fois assez loin de l’eau elle poussa un juron indigne de son rang, elle pesta sur sa coiffure ruinée, sur les onguents et autres crèmes, sur tous les efforts que ses esclaves avaient déployés pour en faire la merveille qu’elle était.

Senos poursuivit de patauger dans l’eau qui lui arrivait au-dessus des chevilles, dans les roseaux lorsqu’elle s’arrêta, près de la berge, penché en avant, s’appuyant sur ses genoux, des mèches de cheveux mouillés collaient à son visage ou pendaient dans le vide, des gouttes tombaient régulièrement dans un plouf presque mélodieux. Un sourire satisfait passa furtivement sur son visage trempé alors qu’elle remarqua que même intentionnellement elle était harmonieuse. Une fois son souffle récupéré elle se redressa et ramena ses cheveux en arrière lorsqu’elle vit une main se tendre vers elle.

L’envoyée d’Azir ne se posa pas trop de questions sur qui ça pouvait être et pourquoi est-ce qu’il offrait son aide, elle attrapa la main et se laissa tirer en-dehors de l’eau. La question était légitime et elle poussa un soupir fatigué, attrapant une algue mêlée à sa chevelure d’ébène pour la tirer et la rejeter de là où elle venait.

« Un sacrilège, voilà ce qu’ils ont fait. » Une colère digne de celle de Renekton brûlait dans son regard. Une colère qui refroidit bien vite en se rendant compte que seule, elle n’arriverait pas à se venger. Ladite colère se refroidit d’autant plus vite qu’elle se souvint qu’il y avait important, plus urgent, que sa vengeance, aussi surprenant que ça puisse paraître. « Heureusement que vous êtes là dans ce cas, Akshan. »

Elle attrapa la serviette et entreprit de se sécher les cheveux, le soleil de plomb shurimien aidant, ça ne prit qu’une quinzaine, voir une petite vingtaine de minutes, pour que l’humidité s’en aille de sa chevelure soyeuse. Elle se tourna alors face à la rivière pour laisser l’inconnu s’occuper de ses cheveux, comme il l’avait promis, ne pensant pas un instant qu’Akshan n’ait pas forcément les outils nécessaires pour faire un travail décent. Toutefois elle se doutait qu’il n’aurait pas le talent pour faire des miracles comme sa camériste savait le faire.

« Pendant que vous œuvrez laissez-moi me présenter: je m’appelle Senos Imo’Thep, l’envoyée de sa sérénissime et exaltée majesté impériale Azir premier du nom, de la très grande, immortelle, et unique dynastie à avoir régné sur l’empire : Omah ; l’Empereur-Dieu, l’Immortel, le maître de Shurima, le roi des rois, celui qui ouvre la voie, le porteur du Sceptre, le punisseur des nomades, le grand unificateur, le commandant de l’Ost des Transfigurés, celui à l’apparence sacrée, celui qui apporte l’aube, le Père Faucon, le bâtisseur de mille villes, le protecteur des deux mondes, le gardien des heures, l’élu de la Mère de la Vie, le gardien de Renek, l’arpenteur du Grand Désert, le pacificateur du Sai Khaleek, l’Indisputé, le géniteur de l’Âge d’Or, le fléau du néant, le vainqueur des traîtres, celui qui nourrit les vautours, le survivant, le grand Lion du Désert Infini. »

Elle décida de s’arrêter sur la version courte, après tout il ne s’agissait pas vraiment d’une occasion formelle et puis même s’ils avaient un peu de temps devant eux, après tout il fallait prendre le temps de s‘occuper comme il se fallait de sa chevelure, elle préférait ne pas s’attarder très longtemps dans le coin. Après tout si elle avait donné une partie des titres de l’empereur c’était parce qu’elle devait encore récupérer le cadeau que sa majesté voulait faire au conseil de la ville, après tout il était hors de question qu’il ne tombe entre les mains de vulgaires pillards.